Ecrivain

Catégorie : Réactions aux actualités (Page 5 of 10)

Flou artistique sur la digue rive gauche : désobéissance ? (RMP 10/05/2021) :

Je n’ai guère l’âme d’un délateur, mais mon regard curieux est attiré par une situation étrange : les pistes de la digue rive gauche de la Garonne encombrées de promeneurs ! Alors que la préfecture de Haute-Garonne a pris la décision de prolonger la fermeture des secteurs de plaisance à Toulouse comme les quais de la Garonne et la prairie des Filtres, voici donc que l’on peut cheminer et aussi s’asseoir sur la partie en question : les pistes bétonnées qui suivent la digue en haut et en bas.

Impossible de rater cette digue de la rive gauche, haute muraille de béton que certain disent trop haute : « la rive droite serait inondée avant que le niveau de l’eau atteigne son sommet », et regrettent que, élevée au bord de la Garonne, elle sépara le quartier du fleuve après démolition des jardins.

En fait, une grande partie de la ville de Toulouse est protégée des inondations par un système d’endiguement datant pour les plus anciens secteurs du XVIe siècle, achevé dans sa configuration actuelle à la fin des années 60, puis rénové. La digue de l’avenue de Muret entre le pont Saint-Michel et le pont de la Croix-de-Pierre, à parement maçonné côté Garonne et enherbé côté ville, est haute de 8 m et permet depuis longtemps de suivre d’en haut le cours du fleuve. Mais elle coupait ce fleuve de ses riverains.

Adieu les guinguettes des terrasses au bord de Garonne, adieu les promenades en barque, adieu aussi les baignades dominicales ! C’est pourquoi – après de longues demandes – furent suspendus des escaliers et des plans inclinés permettant l’accès à une nouvelle promenade cyclo-piétonne, située à la base de la muraille. Cette zone de passage proche de la Garonne conduit soit en amont, soit au centre. C’est également lieu de loisir apprécié et fréquenté, offrant même un mur d’escalade très utilisé par des grimpeuses et grimpeurs.

Or donc, tandis que l’on est arrêté à l’entrée de la Prairie des filtres par des barrières agrémentées d’un cerbère en uniforme, on peut sans souci descendre au pied de la digue ou bien monter à son sommet, afin de cheminer le long du fleuve, en direction de l’amont vers le pont Pierre de Coubertin (pont du Stadium) et plus loin encore jusqu’à la rocade et même à l’Oncopole.

A la vérité, la piste inférieure au bord du fleuve fut aussi durant le confinement fermée de barrières portant des écriteaux qui menaçaient le contrevenant de tous les risques possibles. Mais il suffisait de s’en approcher pour constater que les barrières étaient repoussées et que les promeneurs et sportifs descendaient escaliers et plans inclinés opportunément établis après des décennies de coupure entre riverains et fleuve.

Pour le sourire, les barrières ont aujourd’hui disparu devant le désir de liberté. S’agit-il de désobéissance citoyenne ou bien de tolérance municipale ? Probablement les deux, mon capitaine, l’une ayant inspiré l’autre, ce qui s’appelle naviguer à vue. C’est ainsi que si vous passez par-là le mercredi ou la fin de semaine, vous pourrez croiser maints piétons et cyclistes, et admirer les pêcheurs et les groupes de grimpeurs sur le mur d’escalade. Comme quoi, plus le temps passe, et quel que soit le risque (lequel reste d’ailleurs à démontrer), il devient difficile d’empêcher de jouir sans entrave. Merci l’esprit de soixante-huit !

Pour la grimace, je rappelle à toutes fins utiles, que jusqu’au mardi 18 mai à minuit, restent interdits à la population les lieux suivants :
Les berges de la Garonne situées en contrebas de la place Saint-Pierre, du quai Saint-Pierre, du quai Lucien Lombard, du quai de la Daurade, du quai de Tounis et correspondant à la promenade Henri Martin.
– La place de la Daurade.
– La prairie des Filtres.
– Le quai de l’Exil Républicain Espagnol.

Je rappelle aussi que le non-respect de cette obligation expose les contrevenants à une amende de 135 euros jusqu’au mardi 18 mai à minuit donc.

Et je note l’exception faite pour les pistes de la digue rive gauche, ce lieu sans doute moins connu et plus éloigné pour les étudiants et les travailleurs du centre. Ce qui confirme, s’il en était besoin, que les quartiers rive gauche, surtout au Sud, sont à part de la cité. Non loin du Mirail, ils restent aujourd’hui, moins policés que le centre-ville avec leur population plus mêlée et leurs jardins privatifs. Ce qui en fait les travers, et aussi le charme.

La Dalbade : convictions pas mortes. (RMP 03/05/2021)

De catastrophe en fléau, cet étrange vieux quartier, aussi touché par le confinement, semble devoir rester indifférent à sa levée prochaine. Pourtant, rien ne saurait être indemne de ces jours de maintenant, surtout pas les édifices publics (exceptée l’église).

Cette église de la Dalbade, dans la rue éponyme, quoique amputée par la catastrophe survenue en 1926, l’effondrement du clocher le plus haut de la ville, semble se tirer tranquillement de la situation. Au nom de l’ancienne église couverte d’un enduit blanc à la chaux (albata), elle montre un étonnant tympan de céramique polychrome, œuvre du toulousain Virebent au XIXe siècle d’après le couronnement de la Vierge de Fra Angelico.

Dans les rues voisines, les commerces sont clos et n’ouvrent pas à partir de ce 3 mai. Rue Joux-Aigues (entre celle des Filatiers et des Paradoux) comme ailleurs. Une pancarte en occitan dit : josaica mais Juzaigas aurait désigné le quartier juif, où restent sans doute peu de ces gens tandis qu’avec leurs convictions ils ont essaimé et vécu ailleurs, du moins quand ils le purent dans les bouffées d’antisémitisme de l’histoire.

Au prolongement de la rue de la Dalbade, 31 rue de la Fonderie s’ouvre un porche donnant sur la cour de l’Institut catholique dit « La Catho », établissement privé d’enseignement supérieur comprenant un important choix d’études littéraires, de sciences humaines et de droit ainsi que de théologie et aussi des écoles supérieures professionnelles. Nettement marquée par son appartenance religieuse, La Catho est aussi réputée pour la qualité de son enseignement et aussi son ouverture d’esprit. Elle est néanmoins fermée, comme les universités et grandes écoles, à la présence d’étudiants.

Ce quartier d’apparence poussiéreux est en fait animé par la foi et l’histoire, en fin de compte par la culture, avec aussi l’Hôtel des chevaliers de Saint-Jean de Jérusalem, au N°32 rue de la Dalbade. Parfois désigné comme Hôtel de Malte (voir la croix de Malte au-dessus du portail), cet hôtel fut le siège du grand prieuré hospitalier. Devenu propriété nationale à la révolution, il fut racheté par la corporation des marchands de draps, puis au début du XXè siècle par la Chambre de commerce qui y installa son École supérieure de commerce.

Ayant aussi servi d’hôpital pendant la Grande Guerre mondiale, l’édifice fut enfin racheté à la fin du XXè siècle par le Ministère de la culture afin d’y installer la DRAC (direction régionale des affaires culturelles), émanation de ce Ministère depuis la politique culturelle de Mitterrand et de Lang au temps des ministres communistes. Il faut traverser la cour pour atteindre au fond les services de la DRAC (aujourd’hui réduite à une antenne de la direction sise à Montpellier), sorte de double fond moderniste en ce lieu ancien.

La culture réduite en peau de chagrin ? Et de plus objet d’interdit temporaire… comme la foi et comme la Raison, soit l’idéologie. Voilà qui est grave : « le résultat n’est pas que vous croyez ces mensonges mais que plus personne ne croit plus rien (…). Un peuple qui ne peut plus rien croire ne peut se faire une opinion. » selon Anna Arent. Est-ce ainsi que nos gouvernants gouvernent ?

Pour le sourire, on descend vers le quai du fleuve en suivant la rue du Pont de Tounis où se trouve au N° 10 un linteau représentant Gambrinus (Jan primus), roi mythique de Flandre, sorte de Bacchus qui personnifie la bonne humeur et la joie de vivre en tenant un tonnelet, ce bâtiment ayant abrité autrefois une ancienne brasserie !

En face, le Centre occitan des musiques et danses traditionnelles (COMDT), site N°2 de l’Ostal d’Occitania, est centre de ressources consacré à la culture occitane, pratiquant stages et formations, échanges avec le bassin méditerranéen, le tout subventionné par les instances locales. Une fresque murale sur les bâtiments rénovés évoque un contenu des formes artistiques, valeur qui fut interdite, puis marginalisée et enfin victime aussi de la fermeture au public.

Or, par-delà les consensus mous et vides ressassés à longueur de médias sous influence et englués dans crises et pandémies, il est pourtant ici encore question de l’essentiel, de conviction et d’âme, avec la grande culture résistante aux standards, celle de la poésie d’amour qui éclaire L’Europe envers et contre tout. « Ils [les troubadours] reconnaissent dans l’humain un autrui, et tous les autruis ont pour eux valeur absolue. » Félix-Marcel Castan.

Place de la Trinité : fontaine et sitting (26/04/2021)

Si vous passez place de la Trinité, à deux pas d’Esquirol, certain jour de beau temps et avant 19 heures, vous aurez le plaisir de voir une foule de jeunes debout ou bien assis sur les degrés de la fontaine ou encore postés sur des bornes. Ces sittings improvisés découlent bien sûr de la fermeture des cafés et de celle des salles de cours.

Nommée Trinité dès le XVIe siècle, suite à l’occupation des lieux par des moines trinitaires qui établirent auparavant leur couvent à l’emplacement des actuels N°8 et 8 bis de la rue de la Trinité avant de disparaître à la suite de la suppression des congrégations religieuses par la Révolution française, la place se serait cependant appelée de la « Trilhe » (tri du troupeau) au Moyen-Âge. Quoique entièrement pavée ou bétonnée, c’est une des places les plus conviviales de la ville, où l’on aime en temps normal à venir prendre quelque chose, attablé sur une des vastes terrasses, sous les belles façades.

Dégagée et réaménagée au XIXe siècle, la place est ornée d’une fontaine où le principe de la trinité (non réservé au catholicisme) peut se retrouver dans les trois marches et aussi les trois bornes… Elle est une des premières fontaines à gerbe d’eau de la ville, créée pour alimenter les habitants du quartier avec les eaux du château d’eau. Celles et ceux qui aiment se reposer auprès de ses jets d’eau doivent apprécier, ne serait-ce que distraitement, ses sirènes ailées et ses têtes de lion en bronze, esthétique bien d’époque.

Nul doute que décore leurs rêveries ou leurs discussions la maison Lamothe qui se dresse au N°57 rue des Filatiers, soit dans la partie de cette rue longeant la place. Repeinte de frais en un ton retrouvant la dominante brique, la façade étale motifs et statues représentatifs de l’architecture néo-classique toulousaine de la première moitié du XIXe siècle, avec éléments de décor en terre cuite et statues blanchies, œuvres d’un sculpteur appelé Romagnesi.

Au N° 6 de la place se dresse aussi l’immeuble de l’avocat Nicollet, créé pour son étude surmontée du logement de sa famille, le tout gardant la sobriété des constructions haussmanniennes bien que sublimées par les excentricités de l’ Art nouveau qui se retrouvent particulièrement sur le splendide oriel (fenêtre en encorbellement) à deux étages, bow-window à structure métallique orné de vitraux à décor végétal et animal. En dessous, au rez-de chaussée se trouve le café L’Échanson, petite salle surmontée d’un très étroit balcon supportant un ou deux guéridons. L’établissement existe aujourd’hui surtout par la terrasse où il offre tables et fauteuils.

Mais il est remarquable par son histoire. Au milieu du XXè siècle, il était tenu par un couple de gens très âgés qui semblaient très unis, couchant au balcon intérieur clos pour former chambre et cuisinant à même le zinc. On y pouvait déguster des boisson surannées comme un Picon-bière ou une limonade et, pourquoi pas, un casse-croûte préparé en partage aussi sur ce zinc. L’établissement se nommait : Au Père-Jacques. Nouvelle évocation dans le quartier Trinité de la fameuse triade avec les cafés le Père Léon et le Père Louis situés non loin d’ici ?

Pour le sourire, le café le plus important est bien Chez Mamie, ouvert par « Mamie Françoise », la célèbre patronne qui possède avec sa famille, Chez Tonton et aussi La Couleur de la culotte et le Saint des Seins, établissements tous situés place Saint-Pierre. Chez Mamie est fréquenté par des étudiants mais aussi par Madame ou Monsieur tout-le-monde, aimant plutôt rester au centre de la cité pour un moment de détente. Du moins en temps dit normal, c’est à dire lorsque ce n’est pas interdit.

Car on le sait, il est encore interdit d’ouvrir intérieurs et aussi terrasses de cafés, au motif que les activités de se retrouver pour consommer ensemble n’est pas une activité de première nécessité. Inutile de gloser sur le maintien de l’ouverture des grandes surfaces, qualifiées donc de première nécessité au prétexte qu’elles contiennent des rayons d’alimentation. On notera que les cafés sont depuis longtemps en Europe lieux de rencontre, d’échange, de projet et d’opposition. Espérons que le temps ne soit pas durablement celui du «  café de la jeunesse perdue » qu’évoque Patrick Modiano. Car internet ne fait pas tout. Manque évidemment le plaisir et l’entraînement du partage physique et charnel duquel jaillissent parfois l’espérance et l’énergie.

Chercher l’erreur !

Confinement et Hôtel d’Assézat (RMP 19/04/2021)

L’actualité se présente aujourd’hui sous deux formes : réelle et virtuelle. Sachant que la visite de lieux tels l’hôtel d’Assézat n’est pas d’actualité, je me suis reporté sur internet pour… voir que l’on pourrait en faire une visite virtuelle. Je dis bien « pourrait » car je n’ai pas réussi à l’accomplir sur le site qui la propose. Et c’est ainsi que je pose benoîtement la question : une telle visite, réelle ou virtuelle, ne serait-elle pas de première nécessité ? Avec aussi les corollaires : qu’est-ce qui est aujourd’hui de première nécessité, qui le décide et comment ? Mais ceci est une autre histoire…

Près du Pont-Neuf et de la Garonne, sur les lieux d’une cité romaine et en plein quartier des Changes, nous voici donc Place d’Assézat devant le spectacle saisissant d’un haut mur de briques tranché par une porte luxuriante de pierres ouvragées et surmontées d’une élégante fenêtre à meneaux typiques de la Renaissance.

Derrière la muraille de briques on peut toujours déboucher dans une des plus belles cours Renaissance toulousaine, munie d’une splendide loggia et d’une coursière suspendue, ouverte sous une des plus hautes tours de ce vieux quartier, affichant la puissance du propriétaire, riche commerçant en pastel au Pays de Cocagne. La « cocanha » était le nom occitan du cocon de pastel servant à teinter en bleu clair, marchandise en ce temps chère et prisée. Pierre d’Assézat étendait ses cultures dans tout le « triangle d’or » du Lauragais tandis que c’est au port de la Daurade qu’il vendait ses productions envoyées dans de nombreux pays.

Détail souvent oublié : l’aventure se déroulait au temps des guerres de religion. En 1562 l’expulsion des protestants éloigna le pastelier de la ville dix ans durant, jusqu’à sa conversion au catholicisme et au pardon du roi de France. Arriva l’indigo, plante sud-américaine directement concurrente et la méfiance des banquiers lyonnais s’ajouta à de mauvaises récoltes. Assézat mourut ruiné, ses derniers biens saisis. Splendeur et misère, inscrite, si l’on sait l’entendre, dans les magnifiques pierres de cet hôtel aujourd’hui propriété de la ville (la pierre étant signe de richesse au pays de la brique).

Face à l’entrée, un corps de bâtiments contient des salles de réunion affectées aux diverses académies savantes, dont le temple de la poésie éternelle, la fameuse Académie des Jeux Floraux, réputée la plus ancienne des académies de France, et dont obtinrent des récompenses entre autres Ronsard, Hugo et Chateaubriand.

J’avais déjà évoqué cet hôtel d’Assézat début 2016. Contre l’idée que l’Académie des Jeux floraux y était composée d’aristocrates et de réactionnaires, Jean-Jaurès avait demandé le maintien d’une subvention municipale à cette compagnie, au motif qu’il s’agit non seulement d’une académie ancienne et célèbre (Ronsard, Hugo et Chateaubriand y furent primés) mais encore d’un des points les plus intéressants de la ville.

Pour le sourire, une vaste salle du rez-de-chaussée est nommée Clémence Isaure. Souvent invoquée, cette invocation d’une protectrice de la poésie courtoise dont le buste trône devant toute manifestation culturelle ici, parmi lesquelles des conférences et salons littéraires, quand cela peut avoir lieu, est une figure probablement imaginaire, mais tutélaire.

On peut évidemment considérer comme mineur le préjudice de la fermeture de telles activités. Dommage sur les terres des troubadours et troubaïritz, poètes en occitan qui propagèrent la poésie amoureuse en toute l’Europe médiévale. L’académie des Jeux Floraux remet normalement des « Fleurs » aux lauréats des différents concours qu’elle organise. Ainsi sont couronnés des adultes et aussi des jeunes, dont des écoliers, en maintenant une tradition d’écriture que certains rattachent à la grande poésie des troubadours. Alors, le manque est-il si mineur que cela ? Christian Bobin assure : « L’écriture est une petite fille qui parle à sa poupée. Les grands yeux d’encre de la poupée lui répondent, et par cette réponse un ciel se rouvre. »

On sait que les dégâts provoqués par le confinement et les interdictions dépassent probablement – et de loin – ceux provoqués par l’épidémie. Mais se pose-t-on assez la question : Où peut conduire l’absence de création artistique et culturelle ? Que serait la vie à venir dans un monde où cinémas et théâtres, ainsi que musées et monuments, seraient remplacés par des écrans de téléphones mobiles sous influence de « bigs brothers » ?

Le Ramier en vaccinodrome (RMP 12/04/2021)

Le Ramier de Toulouse transformé en vaccinodrome, voici qui sent la situation extraordinaire, comme lorsque l’on planta des pommes de terre à la Prairie des Filtres en 14-18. Après maints errements et contrordres, le pouvoir prônant maintenant la vaccination en masse, ce vaccinodrome ouvert depuis deux weekends, va ouvrir également en semaine, sept jours sur sept dans le hall 8 de l’ancien Parc des expositions.

Pour rappel, sont concernées les personnes âgées de plus de 70 ans et celles avec une pathologie à très haut risque de forme grave de Covid-19, il faut prendre rendez-vous par téléphone au 0800 54 19 19 (numéro vert), soit via la plateforme en ligne Keldoc.

Or, par-delà l’actualité brûlante, on me pardonnera de noter que voici un nouvel acte dans le destin fort changeant de cet ensemble d’îles au milieu de la Garonne appelé le Ramier. Au début du XXe siècle y fut projeté un « Bois de Boulogne » toulousain. L’endroit fut au fil des années un site de promenade dominicales et où les enfants apprirent à nager à la piscine municipale Nakache et vinrent applaudir joueurs ou cyclistes au Stadium, ainsi qu’un parc des expositions avec vastes halls.

Mais l’histoire n’est pas toujours rose ni verte. On céda une place à l’université avec des laboratoires, à la ville avec une usine d’incinération et l’usine électrique et à l’État pour l’agrandissement de la poudrerie. Après le bombardement de cette poudrerie en 1944, survint un autre cataclysme en 2001 avec l’explosion de l’usine AZF voisine, endommageant le stade, les installations sportives et autres. L’école de chimie laissa place à un casino tandis qu’une industrie dangereuse, classée Seveso II, est maintenue au-delà à la pointe amont, ce qui semble pourtant contraire à la vocation de l’ensemble.

Car est projeté ici un vaste projet d’un Parc Garonne : poumon vert de Toulouse et espace de détente, avec quatre parcs dans l’ensemble de l’île du Ramier. Une première tranche comporte le départ du parc des Expositions, la démolition des halls ainsi que des parkings. Une esplanade « grande comme la place du Capitole » pour accueillir de grandes manifestations sportives et culturelles, donnerait directement sur l’une des passerelles prévues pour franchir la Garonne vers le quartier Saint-Cyprien.

Une concertation citoyenne a également suggéré de réaliser des espaces de création artistique et des sentiers pédagogiques tout en rendant le lieu exemplaire en termes d’écologie urbaine. De quoi rendre plus agréable la promenade actuelle en imaginant cet endroit conforme à l’utopie dont il fut l’objet il y a plus d’un siècle !

Retour au présent immédiat, une partie de ce Ramier est vouée donc à la vaccination contre la pandémie. Passons sur les doutes et craintes à propos des vaccins, ainsi que sur les regrets d’une politique de santé qui n’impliquerait pas les restrictions drastiques des libertés.

Pour le sourire, alors que sont déjà sollicités pompiers, personnels de santé professionnels et bénévoles, le CHU de Toulouse va embaucher 2000 étudiants sur ce vaccinodrome, lesquels seront rémunérés pour la réalisation de tâches administratives, d’accueil ou de soins selon leur profil. Depuis un an, des milliers d’étudiants en santé, volontaires, participent à la lutte contre l’épidémie de Covid-19 et certains s’activent notamment sur la plateforme de prise de rendez-vous pour la vaccination, ce qui leur vaut le surnom de « pioupious » par un médecin urgentiste au Samu 31. Les pioupious vont donc se multiplier.

Le sourire se fige un peu lorsqu’on lit dans la presse la déclaration du patron de ce Samu, justifiant aussi ce « coup de pouce » par la situation désastreuse des étudiants : « Les études coûtent cher, certains jeunes ont vraiment des difficultés pour manger tous les jours et ne peuvent plus faire de petits jobs. » Sans doute, ces étudiants vont-ils participer à une démarche généreuse qui peut aussi les aider. On espère que la vaccination en masse aidera à dominer le virus et aussi à ne pas laisser s’installer durablement la plus grave crise économique et citoyenne depuis la 2e guerre mondiale, dans laquelle les jeunes risquent d’être une génération sacrifiée.

Mais gardons nous d’être naïfs. Dans le Candide de Voltaire, Pangloss enseignait la métaphysico-théologo-cosmolonigologie qui lui faisait conclure « tout est au mieux » « dans ce meilleur des mondes possibles ». Mais le voyage du jeune Candide lui montrait un monde sauvage et sans pitié.

Le quai de la Daurade : par-delà les interdits (RMP 22/03/2021)

Le quai de la Daurade comporte la brasserie des Beaux-Arts, ancien café Bellevue qui fut le quartier général des étudiants des Beaux-Arts voisins durant des décennies et aurait vu passer sur ses banquettes Ingres et Matisse. Autre chose est l’église de la Daurade dont le nom reste évidemment de l’occitan daurada (dorée), car après un temple romain, le bâtiment initial fut un édifice wisigoth recouvert d’or et autre matière brillante, tandis que cette église, reconstruite fin XVIIIe, affiche maintenant un pesant fronton sur colonnes.

Ce quai conduit à la place de la Daurade en contrebas, du moins quand elle n’est pas interdite. Ancien port voué aux mariniers, pêcheurs de sable et lavandières, et normalement aire de jeux et de promenade fréquentée surtout par des jeunes, une boutique en cavité dans la muraille, à fronton néo-classique et intitulée « Pêcheurs de sable », y propose consommations et casse-croûte. C’était autrefois un glacier après avoir été… une morgue pour les noyés. Merci à notre municipalité de ne pas vouloir l’approvisionner en victimes du covid ! Au-dessus du quai, qu’en pense le Café des Artistes dominant cette place habituellement favorite des étudiants ?

Le Pont-Neuf proche est, en dépit de son nom, le plus vieux pont de la ville encore debout sur la Garonne, les autres ayant été emportés par les crues du fleuve. Vu sur ses flancs, il frappe par les ouvertures (dites « dégueuloirs ») ménagées dans ses piles afin de laisser passage en partie au flot, lors des crues violentes de ce fleuve coléreux.

On aime passer ce pont sur ses larges trottoirs en contemplant le flot aux teintes changeantes et les quais variant entre l’ocre et la mandarine, sauvés heureusement d’un projet de voie express. Jadis, on pouvait observer en amont vers la pointe nord de l’île de Tounis, le plus ancien pont de Toulouse (connu dans les textes sous le nom de « Pont-Vieux » depuis le XIIe siècle). De ce pont-là s’exerça longtemps un supplice médiéval infligé aux maquerelles et autres condamnés, consistant à les enfermer dans une gabia (cage) pour les plonger à plusieurs reprises dans le fleuve.

Surtout ne pas rater une façade de pierre blanche où se découpent en bas reliefs des femmes peu vêtues, à chair d’albâtre évoquant la pâleur charnue des corps féminins d’antan, avec un lyrisme d’ornementation en sus. Voici l’Institut supérieur des arts de Toulouse (isdaT), établissement public d’enseignement supérieur. Il s’agit d’une des grandes écoles d’art nationales où Ingres en personne fut élève à la fin du XVIIIème siècle, alors qu’elle était la première des Académies provinciales et la seule, avec celle de Paris, à porter le nom d’Académie royale !

Si ces statues allégoriques de la Peinture, la Sculpture, la Gravure et l’Architecture, se trouvent ici , c’est parce que voici une partie monumentale d’un nouveau Palais des Arts et des Sciences industrielles, commandé à l’architecte Pierre Esquié afin de modifier et recouvrir les locaux de l’ex-Manufacture des Tabacs.

Avec maintes effigies en médaillons et de nombreuses mentions de créateurs nationaux, voici un échantillon d’un style néo-classique surchargé, ayant fleuri avant les révolutions des styles moderne et art déco du début du XXème siècle. Je l’ai évoqué il y a des années à ce micro, cette école fut inaugurée par le président Sadi Carnot car, pour Jaurès, l’institution devait témoigner de l’essor donné à Toulouse par les commandes aux artistes locaux qui marquèrent les festivités et les accompagnèrent : « Il y aura là [ déclara-t-il] un admirable musée d’histoire et d’art, unique peut-être en France, car il n’y a probablement pas d’autre ville qui puisse ainsi illustrer ses annales avec le seul génie de ceux de ses artistes qui sont arrivés à la gloire. »

Malgré ses défauts – et presque grâce à eux, on peut aimer cet affichage de corps que les arts permettaient pourtant aux temps plutôt puritains. L’ensemble de ce monument, inclus dans son site privilégié, est très fréquentés par badauds et promeneurs et mérite au moins autant l’intérêt que les quais de la Seine.

C’est ainsi que, si l’on en croit une grande toile d’Henri Martin au Capitole, intitulée « Les rêveurs », le toulousain tutélaire Jean Jaurès venait faire par ici les cent pas afin d’y préparer ses discours et y « rêver ». Car, assurait-il : « Développer l’art à Toulouse, c’est élever la civilisation dans tout le Midi. »

L’Hôtel-Dieu encore ! (RMP 15/03/2021)

En ces temps de pandémie, on a bien sûr envie de revenir sur l’Hôtel-Dieu. Cet ensemble massif rénové de style toulousain au XVIIIe siècle s’élève sur le site du premier hôpital de la « Ville rose », élevé par le comte Alfonse-Jourdain, ancêtre des Raimon de Toulouse, enrichi entre autres par les croisades en Orient. Agrandi au XVIIe siècle pour recevoir divers malades : incurables, femmes en couche et « vénériennes », chauffé de poêles à bois à la fin du siècle suivant seulement, il resta spartiate avant d’être remplacé par l’hôpital Purpan.

Les lieux maintenant affectés à l’administration du CHU et à des centres de recherche, les services hospitaliers déménagés, se déroulent présentement expositions, initiatives de charité et activités diverses tandis que seraient ourdis des projets de réaffectation. Un escalier monumental accède aux bâtiments bordant le fleuve. Sur le perron se trouve une niche où, derrière une vitre gît dans le tourniquet un dérisoire poupon de celluloïd emmailloté. C’est ici qu’au XIXe siècle on abandonnait encore les enfants à la charge des religieuses de l’hospice, dispositif permettant à des filles dites « perdues » ou à des femmes démunies, de déposer leur nouveau-né à l’abri des regards.

Pas de cornette en vue cependant. La Révolution ayant nationalisé les hôpitaux, suite à des difficultés, un Conseil Municipal anticlérical en 1891 demanda le retrait des Religieuses des services hospitaliers pour leur passage à la charge municipale. Signe que, suite à la Croisade contre les dits « Albigeois », autrement dit cathares, la ville fut « Toulouse la sainte », guerroyant et pourchassant longtemps les protestants et les athées, avant d’être partagée entre bigoterie et radicalisme.

Reste le souvenir des sœurs et de l’esprit qu’elles incarnaient qui hantèrent longtemps ces lieux où résonne toujours un passé de soins et à la fois d’exclusion, apanages d’une religion imprégnée dans les pierres des chapelles et les bois des stalles. On imagine aussi la catastrophe lorsque les locaux furent submergés jusqu’au premier étage et les malades évacués lors de l’inondation de 1875. Fascinants bâtiments classés monument historique qui semblent sommeiller, marqués dans le jardin par une énorme coquille Saint-Jacques en béton, signant la citation du monument par l’Unesco sur le chemin toulousain de Saint-Jacques de Compostelle.

Au rez-de-chaussée du bâtiment côté rue Viguerie, une vétuste porte en bois sculpté et patiné s’ouvre sur un hall occupé de vitrines sur la médecine durant la guerre. Les jours d’ouverture, on pénètre dans le musée de la médecine toulousaine pour lequel j’avais reçu il y a quelques années un responsable de sa réalisation : Jean-François Gourdou. Vision extra-ordinaire d’une ancienne pharmacie de plain-pied, univers magique avec ses boiseries d’un autre siècle et l’exposition de mortiers et pilons en pierre ou porcelaine, balances en laiton ou en acier, collections de pots de tous acabits, bocaux de verre teint, tamis, poids, etc.

Tableaux, sculptures, maquettes, autographes, documents et instruments médicaux anciens, retracent l’Histoire médicale toulousaine vieille de plus de sept siècles, selon deux thèmes : l’Histoire de l’Enseignement de la Médecine et de la Chirurgie et l’Histoire des Hôpitaux toulousains et des soins. De quoi frissonner encore devant d’anciens instruments… et de quoi se rassurer, plus ou moins, à l’idée des progrès actuel de la médecine.

Pour le sourire, il me fut récemment donné au cours d’une visite, d’assister à un sitting chantant et scandant par de jeunes blouses blanches venant de Purpan réclamer publiquement leur dû en prime, etc. interpellant les ministres de la santé ancienne et nouveau avec musique, chanson du Chiffon rouge entre autres et banderoles et pancartes. Si ces jeunes femmes et hommes manifestaient, ce n’était évidemment pas contre le virus mais bien contre l’insuffisance des moyens mis à le combattre. Un peu de recul devant les annonces officielles nous permet de constater que continue à se développer une instrumentalisation de la pandémie pour organiser une régression socio-politique encore inédite.

Nous voici bien loin du panorama recherché par le visiteur moyen s’extasiant sur l’arche qui reste dans le fleuve, vestige de l’ancien pont reliant l’Hôtel-Dieu à la Daurade. Loin aussi d’Ezra Pound qui écrivait de Toulouse :

« cette ville de brique au bord des eaux vertes de la Garonne ».

Prairie des filtres : à nouveau confinée… (RMP 08/03/2021)

Cette prairie dont j’avais parlé lorsque le confinement l’interdisait aux citadins et étudiants hors le périmètre d’1 Km, je veux y revenir pour évoquer d’abord sur le cours Dillon qui domine, l’étrange cohabitation de promeneurs ou passagers moyens qu’on dirait « disciplinés » avec masque et distance, et de sans logis ou du moins zonards – a-t-on des mots bien justes pour les désigner ? – lesquels, faute de moyens, se pressent les uns contre les autres évidemment sans masque. Aperçu minime d’une partie de la nation sur qui les consignes sanitaires glissent par force…

Serait-ce que, de l’autre côté du fleuve, le faubourg serait fidèle à sa réputation canaille ? Selon la rumeur, ce cours à l’écart du centre se muait à la fin du XXè siècle en lieu de drague homosexuelle masculine nocturne. J’ai déjà conté l’origine tout ce qu’il y a de plus « bien pensante » de ce cours, bâti sur ordre de l’archevêque Arthur Richard de Dillon, grand seigneur qui allait émigrer sous la Révolution. L’ancien journaliste Louis Destrem contait que des baraquements avaient ici reçu des Espagnols républicains immigrants, tandis qu’après 1940 ils hébergèrent les réfugiés puis les sans logis avec une cantine de la Croix rouge (surnommée « la cloche »), laquelle se transforma – dit-on – en « cour des miracles ».

Un escalier descendant rue Laganne donne accès à la rue des Teinturiers où domine tout de suite la façade rose d’une ancienne fabrique de cierges ! Signalée par une enseigne gravée en fronton au-dessus de la grande grille : « MANUFACTURE DE CIERGES ET BOUGIES », elle fut construite fin XIXe par la famille Bernady, fabricante depuis longtemps en ce quartier qui devait sentir l’encens autant que le remugle des cochons du marché voisin.

Actuellement occupés par un lycée privé Jasmin-coiffure, les vastes bâtiments de style architectural toulousain XIXe, témoignent de leur siècle, de l’activité industrielle et de l’influence de la religion papiste dans ce quartier. Qui se souvient des « cagots », sorte d’intouchables interdits sur la rive droite sauf exception pour y travailler, et qui résidaient donc jadis à Saint-Cyprien comme pas mal de métiers et personnes non désirées dans les beaux quartiers ? Surtout pas les adolescentes d’un autre monde qui se pressent à l’entrée !

Parmi les immeubles voisins, des appartements récents se trouvent à la place d’une ancienne clinique déjà évoquée pour « les malades des deux sexes, peu fortunés », sous la surveillance des religieuses de l’ordre de Notre Dame du Calvaire. Car une partie de ce quartier en voie de gentrification était propriété gérée par des ordres religieux catholiques et l’on y respirait une atmosphère compassée. Reste entre autres un vestige de qualité : la radio catholique baptisée « Radio Présence » aux émissions évidemment cultuelles n’excluant pas des chroniques artistiques et littéraires informées et compétentes.

Or voici que se reproduit un fâcheux événement. De l’autre côté, sur la rive de la Garonne l’espace inondable, jardin riant avec plates-bandes, gazon et jeux d’enfants est à nouveau interdit pour cause de pandémie. Vicissitudes du temps présent qui furent précédées de certaines autres. La mémoire locale rapporte que l’on planta ici un champ de pommes de terre durant la Grande Guerre. Parfois on apporta là du sable en été. Plutôt que le peuple à la plage, la plage au peuple… Évocation des mots de l’écrivain Pierre Gamarra : « Ce n’est point le midi azur et or, le midi carte postale comme celui de la Côte d’Azur, c’est un midi plus voilé, plus mouillé .»

Pour le sourire (jaune), la prairie fut habituellement vouée à des concerts et spectacles en plein air comme le festival Rio-Loco. La vue de ce jardin vide de monde est lourde du désert culturel qui se crée depuis un an en France sous la férule d’un pouvoir décrétant, au prétexte de mesures sanitaires, l’interdit de toute activité culturelle publique. Ici où se sont produit des artistes de qualité et appréciés pour tels, Claude Nougaro, Joan Baez et Emir Kusturica entre autres, on ne voit même plus de mémères promenant des chiots caractériels en évitant les produits de pigeons obèses. On annonce que, si la situation sanitaire le permet, Rio Loco AFRIKA 2021 se tiendrait cette année sur une durée de 8 jours, soit du 13 au 20 juin…

Reste à prier le dieu des artistes et du peuple, si toutefois il en a un.

Quai de l’Exil républicain : au fil de l’eau… (RMP 01/03/2021)

Du Pont Saint-Pierre des marches descendent sur une coursive qui surplombe à gauche la Garonne et le quai qui la longe, et à droite la rue Viguerie. Le splendide panorama vers les quais de la rive droite, dits roses et aux teintes changeant selon le jour et l’heure, évoque une célèbre grande toile du peintre Henri Martin où l’on voit Jean Jaurès se promener en compagnie au bord du fleuve, je l’ai déjà évoqué.

C’est pour enclore ce fleuve quand il est en colère, que fut édifiée la digue sur laquelle on marche, laquelle date du XVIIIe, mur cyclopéen de briques ensuite muni de portes-écluses protégeant rue et maisons. Cette partie de la rue Viguerie, pavée et aux trottoirs élargis, arborés et aménagés de jeux d’enfants, est l’image d’un bas quartier de jadis en voie de gentrification avec de nouvelles couches d’habitants plus aisés.

Car nous voici rive gauche de la Garonne, partie jadis extérieure à la ville, zone alors insalubre et mal famée, ainsi que je l’ai déjà conté. On la disait encanaillée parce qu’y travaillaient et vivaient des gens du peuple, dont les gafets (titis toulousains), espiègles au verbe haut. Nommé en occitan : San Subra (prononcé : « saïn subré »), on y pouvait également rencontrer des dames de petite vertu, vénales et peut-être aussi un peu trop libres aux goûts prétendus de la bourgeoisie…

Ici où furent d’anciennes « tueries » (abattoirs) et même un antique cimetière, passèrent et transpirèrent tant de travailleurs arrivant et cantonnés, « étrangers » dont ceux venus de la Gascogne à l’Ouest, qui parlaient donc le dialecte gascon, différent du languedocien, autre variante de l’occitan usité sur l’autre rive. Une grosse vague d’immigration postérieure parle sans doute à Maxime, qui se produisit lors de la Retirada en février 1939 où des centaines de milliers d’Espagnols affluèrent à Toulouse et dont une partie fut cantonnée sur ce quai-même avant de se chercher une place dans la ville ou de partir pour d’autres horizons.

Il faut descendre et franchir la porte-écluse d’accès principal où un repère de crue indique la montée des eaux à une hauteur de plus de 4 mètres (par rapport au niveau du sol) lors de la fameuse grande inondation de 1875. On pénètre alors dans une aire arrondie en semi disque, récemment baptisée « Quai de l’exil républicain espagnol », ainsi que l’indiquent deux plaques, l’une en français et l’autre en espagnol. Le lieu héberge parfois des attractions de foire et parfois des manifestations, dont justement les commémorations de « la Retirada ».

Ici échouèrent donc des républicains espagnols au terme ou au passage de leur débâcle, chassés par la victoire des troupes fascistes de Franco aidé par Hitler et Mussolini. Le récent baptême est hommage et mémoire pour Toulouse qui fut capitale de cet exil pendant la dictature en Espagne, plus de 150 000 républicains étant restés depuis dans la cité d’adoption et ses environs.

Pour le sourire, ce souvenir de quand j’étais écolier dans le voisinage. Je me souviens que des copains de l’école étaient rabroués pour leur mauvais français. Fils d’immigrés par-delà les Pyrénées, ils se seraient sans doute bien mieux exprimés en catalan ou castillan. L’un d’eux venait en classe en vêtements usés et rapiécés. Je ne me souviens pas de son nom mais j’ai gardé gravé en mémoire le beau coutelas qu’il montra un jour en cachette. Sur la lame était gravée une inscription qu’il traduisit : « Si cette vipère te pique, il n’y a aucun remède à la pharmacie. »

La ville et notamment ce quartier restent profondément marqués par ces gens qui étaient parfois pris pour sous-développés quand ils étaient porteurs d’une belle culture répandue par le monde : « La liberté, Sancho, est un des plus précieux dons que les cieux donnèrent aux hommes » selon Miguel de Cervantes. Malgré une difficulté à s’intégrer, ils finirent par colorer fortement et durablement Toulouse comme en témoignent alentour des noms et des choses, commerces et institutions, entre autres le Casal Català que j’ai déjà évoqué.

Autant de souvenirs et de rêves possibles, ici où il fait bon se promener en usant des aménagements récents pour suivre le flot fascinant ou simplement contempler la ville avec ses quais et ses édifices florentins. De quoi songer encore aux montagnes d’où descendaient eaux et hommes sur des carrasses à fond plat emportant humains et choses vers l’aval, jusqu’à Bordeaux, l’océan et pourquoi pas, les îles lointaines.

La Grave : encore une fois ! (RMP 22/02/2021) :

L’image galvaudée du dôme vert-de-gris au-dessus de la Garonne est si emblématique de Toulouse que l’on ne m’en voudra pas de l’évoquer à nouveau, après avoir convoqué le maire de quartier et la présidente d’une association de résidents et aussi après avoir évoqué le sujet à propos du premier confinement.
On se rend sur les lieux par le 9 rue du Pont Saint-Pierre ou bien par un tunnel qui s’ouvre place Lange sous la rue éponyme. L’ancien édifice de briques vieux rose construit au XVIIe siècle, abrite toujours une « cité de la santé » dispensant des services médicaux dédiés au dépistage, au traitement et au suivi de personnes malades et en situation précaire. S’ajoute à ces missions celle de vacciner contre le covid 19 les personnes de plus de 75 ans. Je découvris cela par hasard, à l’occasion d’un repérage sur place, m’inscrivant donc là tandis que j’avais abandonné les tentatives de m’inscrire par téléphone ou internet.

Le bâtiment, du moins ce qu’il en reste, est coutumier de traiter les épidémies puisqu’il s’était vu assigner le rôle d’isolement des indésirables, dont les pestiférés car au milieu du XIVe siècle la Peste Noire fit mourir un tiers de la population toulousaine et cette calamité récurrente frappa encore au début du XVIe où l’établissement fut agrandi en prenant le nom d’Hôpital Saint-Sébastien (du nom du saint invoqué pour combattre ce fléau).

La Grave, c’est près de 6 hectares de surface en plein cœur de Saint-Cyprien. Un promoteur racheta une partie dont la façade longe la rue du Pont Saint-Pierre. Le gros projet immobilier prévoit logements, résidence hôtelière (4 étoiles) et commerces en pied d’immeuble. Est préservée la chapelle au dôme, qui doit être affectée à des activités culturelles et notamment des expositions et accueillir un parcours d’interprétation qui retracera l’histoire de cette chapelle et de l’hôpital. Une « coulée verte » qui traverserait le site depuis la rue du Pont Saint Pierre jusqu’au Parc Raymond VI est également envisagée. Les associations du quartier regrettent qu’une crèche et un EHPAD ne soient plus au programme.

Rasé le bâtiment face au sud du dôme, place aux appartements les plus chers de Toulouse dans un secteur sis non loin du centre de la ville et idéalement situé près du fleuve. Le cahier des charges impliquant certains logements dits « sociaux », leur coût les destinera toutefois à des catégories au moins moyennes, dans un quartier où se produit la « gentrification » d’une population jadis très populaire.

Reste pour lors un bâtiment à l’usage de la fondation Abbé Pierre, touchant la rue du Pont-Saint-Pierre d’où l’on peut admirer des portraits, dont celui de l’abbé, dessinés sur le mur où s’étale une banderole : « La Grave n’est pas à vendre, relogez les habitant.e.s. » Le projet, déjà bien engagé puisqu’un énorme trou rappelant celui des halles de Paris s’ouvre en lieu et place de bâtiments détruits, s’inscrit dans une tendance nouvelle en ce quartier où l’on prend de court les habitants traditionnellement, voire ancestralement, de conditions modestes.

Cela n’est pas nouveau puisque le secteur compte encore de nombreux originaires de l’étranger comme les descendants d’Espagnols réfugiés, nombreux après la guerre civile où l’armée de Franco les chassa de leur pays. En témoignent certains signes et édifices, dont le Casal Català situé tout près : 7 rue de Novars.

Pour le sourire, Jean Tutenges ne me contredira pas, si le lieu est celui d’une association créée en 1944 par des Catalans, républicains espagnols arrivés à Toulouse pour la plupart en 1939, notons que rien ne mentionne ici une appartenance espagnole. La vitrine affiche sous l’emblème à quatre bandes rouges sur fond jaune, des informations pour promouvoir la langue et la culture catalanes : activités ordinaires, concours de littérature catalane et fêtes diverses dont l’Aplec de la sardane de Toulouse et la fête de la St-Jean avec Convergence (occitane).

Voici qui renvoie aux démêlés politiques de la Catalogne actuelle en soulignant la différence entre les langues castillane et catalane, cette dernière reconnue langue romane proche de l’occitan, sans toutefois pouvoir gommer les restes de l’histoire. Étrange voisinage de ce lieu et de l’immeuble de l’Abbé Pierre avec la spéculation immobilière !

« Notre pays cultive la passion du patrimoine, de l’histoire.» assurait le chef d’orchestre Michel Plasson. Sans rapport direct avec cette affaire-là…

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