Je veux aujourd’hui parler d’un message adressé par un ami. Extrait de je ne sais quel réseau social, ce développement se dressait contre (je cite) : « la raison, source d’erreur et de tromperie », ce au motif paradoxal que la raison empêcherait une pensée d’être clairvoyante à l’heure actuelle… Or qu’est-ce que la raison ?

Si l’on veut bien revenir aux sciences, la raison d’un phénomène est sa proportion ou son principe explicatif. C’est ainsi que Taine indique « il y a une raison, un « parce que », un intermédiaire qui explique, démontre et nécessite » la liaison entre deux données. De ce point de vue, la raison est dans les choses comme le noyau est dans le fruit.

Si l’on se reporte au Larousse, il propose pas moins de quatre définitions successives, depuis la faculté de juger jusqu’à ce qui justifie un acte, en passant par les principes de bien agir et les facultés intellectuelles normales… Remarquons alors qu’en ces divers sens, la raison c’est toujours le convenu, soit l’idéologiquement correct ! Si c’est cette « raison » là qui est suspectée, celle qui, admise, n’est pas à remettre en cause, celle qui fait barrage au doute et à la recherche, alors on peut partager le soupçon. Pourtant, c’est encore autre chose qui est en cause.

Le message de l’ami ressemble à bien d’autres du même genre dans l’avalanche d’envois par internet. J’avoue que, après avoir tenté de lire et de comprendre de nombreux messages, je me suis lassé devant ces tirs croisés en tous sens. Et je me suis remis à réfléchir.

Sans doute, les médias passent le temps à diffuser des « raisonnements », lesquels visent à formater les idées, soit les plier au service de qui détient les rennes du média, à savoir le grand patronat ou le gouvernement. Au sujet de la pandémie, ces médias ont mené des discours de campagnes successivement contradictoires afin de justifier des mesures publiques changeantes, voire perverses : d’abord contre les masques et ensuite pour, puis pour le confinement et ensuite contre. Nous avons d’abord marché, puis pas mal d’entre nous avons décelé la manœuvre.

C’est ainsi, que s’explique une grande et générale défiance de la part du grand nombre. ON (indéfini) transpose la défiance envers la politique en une défiance envers la politique sanitaire. Notamment, on tourne cette défiance contre les vaccins, au motif qu’ils font la fortune de « big pharma », qu’ils sont issus de peu de temps de mise au point, que la science n’en est pas à une erreur près, et encore que c’est l’évolution du monde (et de la médecine) qu’il faut changer…

Tout ceci est bien vrai. Et pourtant, est-ce une « raison » (entre guillemets) pour négliger un produit passé tout de même par des processus de contrôle, est-ce une raison pour ne pas tenter un moyen possible de juguler une pandémie qui s’accompagne d’une crise terrible où les plus faibles sont sans défense ? N’y a-t-il pas là une défiance et un pessimisme démesurés ? Et n’y a-t-il pas quelque négation, quelque fuite existentielles, elles aussi démesurées ? Et enfin, qu’est-ce qui relève d’une méfiance envers une forme de raisonnement et qu’est-ce qui relève du refus spontané et irraisonné tourné un peu envers et contre tout ?

Pour le sourire, je me souviens de Galilée qui, défendant sa nouvelle conception du monde, invitait les docteurs scolastiques à observer la lune dans la lunette d’astronomie. Ceux-ci refusaient afin que… cela ne leur obscurcît l’entendement ! Ainsi, ils évitaient de remettre en cause la conception dominante où la terre était vue comme le centre du monde, idée soutenue violemment alors par l’église catholique romaine.

Quatre siècles après, a-t-on oublié que Galilée fut contraint d’abjurer sa théorie, sous la menace d’une condamnation à être torturé et brûlé comme le fut Giordano Bruno et comme le serait bientôt Cesare Vanini, exécuté place du Salin à Toulouse ? « Et pourtant, elle tourne ! » aurait alors confié Galilée. Sa conception où la terre n’est pas le centre du monde, fondée sur un usage de la raison, confirmé par la pratique, serait amplement vérifiée par la suite, jusqu’à ce qu’Einstein l’élargît par sa théorie de la relativité.

Dans La vie de Galilée, le dramaturge Brecht lui fait conclure : « Si j’avais résisté, les physiciens auraient pu développer quelque chose comme le serment d’Hippocrate des médecins, la promesse d’utiliser leur science uniquement pour le bien de l’humanité. »

Où l’on voit que l’ami Brecht, lui aussi, est toujours d’actualité.