Avec la levée d’interdiction des terrasses de cafés, la ville retrouve ses atours. Tout récemment puisque restaient encore interdits les bords de Garonne, Place de la Daurade et la prairie des filtres. Donc, la place du Capitole redevient l’agora. Quoi du virus et de sa propagation ? Parlons d’autre chose avec les beaux jours ! Sur les terrasses devant les arcades s’attablent des touristes et des toulousains. Limité en nombre par les mesures sanitaires, le plaisir reste sur la plaza mayor illuminée de soleil.

Et d’histoire aussi. Car les pierres en ont une, en relief ou pas. Si le parvis, orné de la croix occitane boulée et affublée de signes du zodiaque ainsi que les fresques aux plafonds des arcades sont affichés devant l’hôtel de ville, les hôtels-restaurants et surtout les cafés, sont une institution. Les plus anciens datent de la réalisation de la place au XIXe siècle.

Au terme de toute une épopée, c’est dans la première moitié de ce siècle que la place prit enfin son aspect actuel : les côtés sud, nord et ouest successivement construits dans un style néo-classique toulousain sur les plans de l’architecte de la ville, Jacques-Pascal Virebent qui s’illustra aussi en plusieurs autres points de la cité.

Parmi les établissements nés à cette occasion, le Grand hôtel de l’Opéra, le Bibent et le Café Albert. On déplore aujourd’hui la disparition de lieux et leur remplacement par de tout autres types d’établissements. Mais une démarche municipale sauva le café Bibent. Ce dernier où se tinrent à diverses dates des réunions d’une intelligentsia, est restauré dans le style Belle époque, offrant sous un décor munificent un confort velouté. De ce même côté Sud, en lieu et place des magasins C et A, à l’autre coin de la rue Saint-Rome, fut le Café de la Paix, lieu de prédilection de Jean Jaurès.

Pour le sourire, côté nord où trône actuellement un Mc Donald’s, s’ouvrait le Tortoni, quartier général des anciens résistants et lieu d’accueil des étudiants étrangers dans les années soixante-soixante-dix. Une vitrine commerciale flanque ce « Macdo », en lieu et place de l’ancien Mon Caf’, lieu de rendez-vous de pieds-noirs après le « rapatriement » pour cause d’indépendance de l’Algérie. Parfois volèrent des chaises : rixe entre des consommateurs des deux terrasses qui, pour être voisins sur la place, n’étaient pas moins opposés par les événements.

Sourire toujours, mais plutôt amer, en ce lieu actuel de l’hôtel Crowne Plaza au N° 7, fut autrefois le Grand hôtel de Paris, tenu par les époux Mongelard qui y cachèrent aviateurs, résistants et Juifs, alors que l’établissement était fréquenté par des officiers nazis. Malheureusement, les tenanciers furent dénoncés, arrêtés, emprisonnés et déportés. On peut voir le N° matricule brodé à Ravensbruck par la dame, sur une pochette encadrée à l’intérieur de l’hôtel. On peut aussi en savoir davantage en contactant l’association AFMD (amis de la fondation pour la mémoire de la déportation) ayant pour adresse électronique : dorlayne@gmail.com . Entrer par le début de la rue Gambetta où, avant une jolie façade Art Nouveau, s’ouvre un passage sur le patio, terrasse intérieure ornée de sculptures et fontaines.

C’est sur la place que s’étalent les fameuses terrasses extérieures où, devant le Capitolium, l’on se dispute les places en ces temps de jauges limitées. J’évite de citer tous les établissements, nombreux et jaloux de leur territoire. C’est un privilège coûteux de pouvoir consommer ici sous un ciel de pastel souvent serein entre les façades mandarines dites roses. Je dis bien : consommer. Car on ne produit guère dans les cafés (n’en déplaise aux existentialistes de jadis) tandis qu’on y échange ces banalités qualifiées de « propos de comptoir ».

N’empêche que ces terrasses et les salles qu’elles accompagnent, recèlent la mémoire d’événements pas futiles du tout. Sous les arcades, l’ancien café Durand, devenu le Florida après 1940, toujours de style « Belle époque » avec sa verrière et ses miroirs peints au plomb, fut jadis fréquenté par nombre de réfugiés espagnols. Quant au splendide Bibent, il fut couru par des officiers de la Wermacht qui, dit-on parfois, montaient volontiers à l’étage pour rendre les honneurs à des dames accueillantes.

Claude Brasseur assure : « Vous mettez Loana et Steevy à la terrasse du Fouquet’s, il y a une révolution. À la table d’à côté, vous mettez Michel Tournier et le professeur Charpak, il n’y aura personne. » Dommage !