Trois ans tout juste après son arrivée à Toulouse, Dominique Alzéari va être nommé avocat général à la cour d’appel de Paris. Ce changement de poste intervient après plusieurs alertes sur des problèmes de management au sein du parquet de Toulouse. Par-delà le covid, les questions sociales nous rattrapent. En matière judiciaire aussi. Et les historiens nous apprennent la rémanence du « temps long ».

Le « palais de justice » se trouve entre deux places conjuguant des signes d’intolérance. Au flambant neuf palais sont cités en comparution immédiate de jeunes manifestants. À l’édifice racheté pour en faire un temple, se retrouvent des descendants de protestants chassés de la ville.

Au carrefour Duranti, une tour moderne de briques, étrave d’un curieux navire ancien et moderne, s’enfonce dans la ville. En les locaux réaménagés (les avocats durent « s’exiler » à la Maison des avocats située rue des Fleurs) la voûte culmine à 25 mètres, de quoi inspirer crainte et respect aux prévenus ! Crainte, sans doute. Mais où est le respect d’un pouvoir qui se prétend par ailleurs barrer la voie à l’extrême droite, tout en usant de pratiques policières répressives dignes des régimes dictatoriaux ?

Au N°7 est la maison de l’Inquisition (à droite des vestiges de l’enceinte romaine du Ier siècle). D’apparence vraiment médiévale, cette maison rappelle la terrible institution qui succéda à la croisade en notre propre pays. Passons sur l’entreprise connue, en notant seulement qu’elle laisse une marque non seulement sur les lieux et les esprits, mais aussi sur les corps, sans oublier les vêtements : sinistre présage que le port de la croix jaune imposé alors aux hérétiques !

Autre lieu, autre temps, place du Salin (qui doit son nom au Salin royal où les agents royaux percevaient le droit sur le sel) voici le temple du Salin : lieu de culte protestant installé début du XXe dans l’ancienne Trésorerie royale du XIIIe. Il compte parmi les rares points de culte réformé qui restent à « Toulouse-la-sainte », depuis l’éviction musclée et armée des calvinistes au siècle des guerres de religion.

Marque d’un autre âge, au N° 10, un immeuble en joli corondage (nom toulousain de colombage). Passéiste et paisible d’apparence, la façade porte une plaque à un nommé Zeef Gottesman, surnommé le « commandant Philippe », résistant FTP-MOI, étranger mortellement blessé le 19 août 1944, lors des combats de la libération de Toulouse contre les armées nazies.

Pour le sourire, trône en face une statue de Jacques Cujas, professeur de droit, grand juristes humaniste français. Figure qui connut un destin à rebondissements  : récupérée sous l’Occupation, remplacée en pierre, décapitée puis refaite en résine d’après le moule original. En écho dans la salle des pas perdus de la Cour d’Appel, voici la statue de Jean-Etienne Duranti (avocat et président du parlement ayant siégé ici), victime de la même guerre de religion. Au souvenir du sort de la statue de Jean Jaurès (maintes fois disparue et reconstituée), on reste pensifs devant les démêlés des humanistes et de leurs statues à Toulouse !

Le sourire se tarit à voir sur le terre-plein aux platanes côté Ouest, de légers pieds en ferronnerie qui supportent une plaque où est inscrit : « HOMMAGE aux penseurs précurseurs des lumières, victimes de l’obscurantisme, qui ont étudié ou enseigné à Toulouse… » et suivent des noms dont le premier est Vanini. Énigmatique temps où l’on réservait un mauvais sort aux philosophes, à la « ville rose » comme ailleurs !

Giulio Cesare Vanini (1585-1619), philosophe libertin, fut précepteur à Toulouse. Arrêté par l’Inquisition, il fut accusé d’athéisme et l’on insinue parfois qu’il aurait eu des « mœurs contre nature ». Des récits contemporains suggèrent une « corruption de la jeunesse », ce qui n’est pas sans évoquer les accusations antiques contre le philosophe athénien Socrate. Le procureur peina à prouver qu’il était hérétique mais Vanini fut « convaincu » (!) de blasphème et athéisme. Le Parlement de Toulouse le condamna à avoir la langue coupée, à être étranglé puis brûlé. L’exécution eut lieu le 9 février 1619 sur cette même place du Salin. Les chroniques disent que le supplicié poussa un horrible hurlement lorsqu’on lui trancha la langue, acte barbare, évidemment lourd de sens.

Histoire citadine très peu « bizounours ». Laissons au moins les derniers mots à la pensée du philosophe : «La matière du ciel n’est pas différente de celle de l’homme ou du scarabée». «Il n’y a ni Dieu ni diable !»