Ecrivain

Catégorie : Non-classé

LUTTER PAR DIGNITE

J’ai lu Les vivants et les morts, vingt ans plus tard, de Gérard MORDILLAT chez Calmann Lévy. Ce roman m’inspire un sentiment double : reconnaissance d’un temps (le nôtre aujourd’hui) très bien décrit et néanmoins léger agacement dû à un certain opportunisme dont est faufilée l’œuvre. L’auteur est talentueux et reconnu comme tel, capable de dystopie (Moi, présidente publié en 2016) et aussi de sensible observation de la vie des gens de peu, tout comme de convocation de la grande culture (Hamlet le vrai). Cependant, la publication « vingt ans plus tard » de l’histoire de Dallas et Rudi qui avait donné en son temps une adaptation à la télévision, peut sembler cousue main pour un prochain succès au petit écran. D’autant que l’écriture souvent très sobre, voire clinique, donne la part belle aux situations ou caractères plutôt qu’à la patte d’écrivain. Ce qui peut d’ailleurs être reconnu comme un avantage, à l’image d’une manière dépouillée d’auteurs anglo-saxons. De fait, on vibre avec les héros (ou anti-héros), personnages ballottés en notre monde où la fermeture d’une entreprise plonge soudain toute une ville dans le tragique, voire l’enfer. Souvent, on est pris par la précision des scènes au travail aliéné et l’on souffre et s’indigne du sort qui échoit ainsi aux femmes et aux hommes victimes sans pitié de la situation. Pourtant je lis cela plus comme un reportage que comme une tragédie contée de l’intérieur ou même de l’extérieur. Avec quelques lignes fortes telle : « ils se quittent comme si la douleur corrodait tous leurs élans » ou encore : « Écrire c’est vivre. C’est muer la nuit en jour. Faire des mots une partie vivante de sa chair. » Il reste que l’on souhaiterait à ce livre beaucoup de lectrices et de lecteurs pour, à cette lecture, se réveiller d’une anesthésie, ouvrir les yeux sur la réalité de notre monde et, comme les protagonistes de l’histoire, lutter ne serait-ce que par dignité.

CAMUS Albert, L’Exil et le royaume, nouvelles, Ed. Folio.

Je viens de lire ces textes en un volume publié par Gallimard, belle édition numérotée avec lettres dorées sur couverture cartonnée. N’ayant pas le culte bibliophile mais pratiquant celui de la littérature, je me suis plongé avec curiosité dans ces nouvelles. Beaucoup sont vigoureuses, voire violentes, jusqu’à l’absurde. Certaines surprennent par une écriture sèche que l’on n’attendrait pas de l’auteur de Noces. Peut-être des textes désenchantés après les écrits de jeunesse. Car ce recueil de nouvelles est paru en 1957. C’est la dernière œuvre littéraire de Camus publiée du vivant de l’auteur.

Après « Le Renégat » qui évoque la transformation d’un dévot militant en suppôt de Satan, tout aussi violent vient « Jonas », histoire d’un peintre adulé sans l’avoir vraiment voulu puis vivant la redescente dans l’incapacité de travailler. On pourrait sans doute transposer du peintre à l’écrivain… Surtout je fus surpris par « La Femme adultère »… où nul acte proprement adultère n’est commis mais bien une sorte de « tromperie » psychique et sentimentale lorsqu’elle délaisse la couche conjugale pour une extatique promenade solitaire de nuit. Pas sûr que ce soient ses meilleurs textes mais Camus ne déçoit décidément pas. Car on retrouve aussi ses notes existentielles, tels les mots sur ceux qui couchent seuls  : « tous les soirs dans le même lit que la mort. » Et encore : « l’eau de la nuit commença d’emplir Janine, submergea le froid, monta peu à peu du centre obscur de son être et déborda en flots interrompus jusqu’à sa bouche pleine de gémissements. »

© 2025 Francis Pornon

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