Ce roman, un prix Interallié, fait exception aux prix ayant couronné – sauf exception – de médiocres favoris du sérail.* Contrairement aux plumitifs du quartier latin, ou bien d’ailleurs en l’hexagone, l’ami Marc se distingue en partant travailler et vivre outre-mer. Cela donne un roman poignant où une française immigrée, installée avec son homme au bord de la piste Tranchaco, voit se déliter tout ce qui eût dû recommencer une vie. Après un départ comme tous, simple et terrible : « Revers de fortune, là-bas, au pays. », elle a monté un « petit » élevage de quelques milliers de bovins en Amérique du sud, dans le Chaco Paraguayen. Mais le temps et les siens la trahissent. Devant la catastrophe, elle veut s’échapper en vendant, mais c’est impossible. Les éléments rendent tout et tous liquides. Les bêtes crèvent. L’ « époux fossile » reste muet et inexistant. Suite à sa fugue pour tenter la vente, son propre fils lui casse les jambes. De plus, il la trahit en forniquant en silence sous son toit, tandis que la Guarani qu’il baise : « raconte tout et le reste, elle soulève et pousse et secoue furieusement le puissant corps qui lui cloue l’abdomen, ahane son formidable martyre, puis rit, s’étouffe, crie la gorge ouverte comme si elle entrapercevait sa fin. » Pour finir, Ida prépare l’incendie de l’estancia, mais n’accomplit pas son geste, en se demandant pourquoi. « Peut-être l’Indien qui vit sauvage et libre dans le monte pourra-t-il éclairer ma lanterne. » Et elle part en rampant sur les coudes et le ventre vers le territoire des Lengua ou des Nivaclé. « Je n’ai pas de préférence, pourvu qu’ils soient sincères. » Forte histoire, parfois délicate et sensible, souvent violente, en silence. Sacré roman, d’une lucidité extrême : « Chacun a son histoire, plus ou moins glorieuse, plus ou moins avouable, dont nous ne savons que des bribes […] » et aussi d’une émotion forte. Comme quand, son mari mort, l’héroïne lave « ce visage et ce torse, ces bras et ces jambes, ces mains qui m’ont autrefois tenue et caressée ».

*  L’Interallié mérite l’indulgence depuis qu’il avait jadis couronné Drôle de jeu de Roger Vailland.