Exceptionnellement, je traite d’un second livre en prose d’un auteur. Parce que le genre des nouvelles est – comme la poésie – parent pauvre du marché. Et parce que l’ami Mohammed Moulessehoul (alias Yasmina Khadra), tout en jouissant d’un grand lectorat en France et de par le monde, traduit en un grand nombre de langues, reste mal aimé de certains décideurs du talent dans l’hexagone. Non content de n’être pas le bon Algérien réfugié chez nous pour écrire sur la barbarie « là-bas », il conjugue les tares d’avoir été officier dans l’armée ex-ennemie et puis nommé directeur du Centre culturel algérien à Paris ! Il n’empêche qu’il aide la littérature sur l’histoire et l’identité algériennes, entre autres dans la collection « Bel horizon » qu’il dirige chez Après la lune.

Ce recueil de nouvelles est édité avec succès en Algérie (il y avait foule à l’Institut français d’Oran où il venait le présenter) mais n’est pas disponible en France jusqu’à nouvel ordre, la faille subsistant entre les deux rives du « Grand-fleuve ». Maîtrise d’un auteur, saisie des âmes, peinture originale et tons typiques en font un important livre inconnu chez nous. De l’exécution de Zabana*, où l’horreur de la guillotine le dispute à celle de la condamnation, au délire d’un « repenti »** qui ne peut trouver un sommeil paisible, métaphore d’un peuple qui ne parvient à oublier, ce sont des scènes algériennes à la fois quotidiennes et souvent sublimées, mais vraies, non pas scénarisées pour un goût parisien. Notes justes, comme cette vision courante au pays : « Il avait le regard mélancolique de celui qui attend quelque chose qui tarde à se manifester. » Ou comme l’absurde du suicidé chez les musulmans : « Dans la précipitation, il a dû oublier que ceux qui se donnent volontairement la mort pourriront en enfer jusqu’à la fin des temps. » Ou encore la note d’énergie : « Mon peuple bafoué est mon livre de chevet. Son mutisme de soumis fait de mon murmure un cri. » Sans oublier la résistance au féminin, l’espoir : « Je veux m’entendre vivre, tu comprends ? Je veux croire qu’il reste encore un peu de soleil dans mes jours. » Conseil d’amis aux Algériens : précipitez-vous ! Et aux Français qui le peuvent : se procurer le livre par un ami outremer ! Raison de plus, d’ailleurs, pour en avoir…

* Premier indépendantiste algérien guillotiné, le 19 juin 1956, dans la prison de Barberousse à Alger.

** Ancien terroriste amnistié suite à une loi dite de « concorde ».