Je roule dans la Vallée verte (au-dessus de Lac Léman), quand j’entends derrière moi un klaxon à
deux tons bien connus. Dans mon rétroviseur des gyrophares bleus. La police ! Un véhicule bleu
marine me double et me barre le passage tandis qu’un deuxième véhicule identique me coince par
l’arrière. Avec les klaxons et les feux clignotants, je me trouve soudain en plein polard.
Plusieurs policiers en tenue avec gilets pare-balles, m’intiment des ordres : « Coupez le moteur,
mains sur le volant ! Sortez du véhicule, posez les mains levées sur la carrosserie pour la fouille ! »
Ils me palpent, inspectent la voiture, examinent mes papiers en interrogeant je ne sais quoi par un
téléphone mobile tandis qu’un grand gaillard costaud se tient sans équivoque devant moi. Premières
formalités accomplies, on me demande de justifier ma présence à cet endroit. Le polard continue.
Après une randonnée matinale, j’ai décidé de profiter de l’après-midi pour chercher un gîte en cette
vallée afin d’y séjourner prochainement en famille. Muni d’une documentation sur des chalets
locatifs municipaux, je voulus me rendre compte de visu. Là, deux personnes locataires me firent
successivement, obligeamment et m’a-t-il semblé, avec plaisir, visiter deux des types de chalets ;
afin de solliciter des renseignements je me dirigeai vers deux jeunes femmes à l’entrée d’un
troisième type d’établissement, lesquelles me répondirent peu aimablement et, m’a-t-il semblé, sans
plaisir.
Les policiers me demandant pourquoi mon épouse ne m’accompagne pas, je réponds qu’elle garde
nos petites filles et je dois encore préciser où et pourquoi. Mais le film tourne court et il faut bien se
rendre à l’évidence, « il s’agit d’une méprise », comme conclut le gradé. Ils me laissent alors
repartir en me conseillant d’un ton presque patelin de ne pas oublier ma ceinture, en me souhaitant
quand même bonne chance dans ma recherche. Du coup, je me permets de demander si on les a fait
venir de loin pour tout ça, ce à quoi le géant me répond qu’ils ne sont pas loin…
Aucune remarque a posteriori au sujet de la police, sinon qu’elle faisait son travail, avec un entrain
toutefois non modéré. On me pardonnera un sentiment à propos des deux dames qui , ainsi que les
fonctionnaires me laissèrent entendre, ont appelé cette police pour signaler un suspect. Sans doute,
retour de randonnée, pas rasé ni douché, je n’affichais pas mes qualités de romancier et de
professeur en retraite, encore moins celles de grand-père en quête de villégiature pour les siens. Je
subodore toutefois qu’un grand nordique blond, genre aryen par exemple, eût mieux rassuré que
moi même avec mon visage hâlé et ma petite stature de méditerranéen.
La plaque de la voiture de ces honnêtes femmes, immatriculée en 71, me laisse en outre rêveur,
s’agissant du département d’origine de mon grand père paternel, la Saône et Loire. Car je ne sache
pas qu’il existe en cette France profonde de mégapole où elles auraient pu affronter des foules
d’immigrés inquiétants. Au bout du compte, si ces dames sont de celles qui souhaitent une
lepénisation de la France, elles peuvent se tranquilliser. Cela semble en cours.