Ayant depuis des années le plaisir d’évoquer des lieux à cette antenne de Radio Mon Pais, j’évoque pour une fois une personne… La mienne ! Rassurez-vous, je ne m’élève pas au rang des personnalités historiques emblématiques de Toulouse. Car en fait, c’est plutôt d’un ancêtre que je veux parler, ainsi que d’un doute qui me hante : suis-je bien Français de souche et en droit de résider dans l’hexagone ?

Un fait récent m’a mis la puce à l’oreille : l’interdit du sauvetage de migrants étrangers et l’emprisonnement de la capitaine courage d’un navire sauveteur, ce avant qu’un juge déclare illégitime cet emprisonnement. Je me demande si la notion de solidarité envers l’homme en détresse, principe en vigueur partout et toujours sur la terre, est soudain rendue vide de sens, et ce pourquoi ? Que faut-il pour avoir droit au qualificatif d’ « HUMAIN » libre et égal en droit aux autres ainsi que le dit l’esprit de la « déclaration universelle des droits de l’être humain » ?

Par suite, si, comme il découle d’une interdiction de vie sur le territoire, il est des gens plus humains que d’autres, je me demande si je suis d’un côté ou de l’autre et donc si, à l’insu de mon plein gré, je ne serais pas moi-même étranger à ce monde. On connaît la réponse de Camus, alors qu’il vivait en Algérie où je vécus moi-même bien après, là où Albert se reconnaissait mal dans « un peuple sans passé » et où il conçut L’Etranger. Là-bas, les résidents d’origine dite européenne durent d’ailleurs choisir lors de l’indépendance algérienne : être français et/ou être étranger.

On sait – mais le sait-on toujours ? – que la France est ainsi peuplée de gens dont bien peu naquirent de peuplades autochtones et dont la majorité descend de ceux qui choisirent d’en être au fur et à mesure des exils : Polaks, Ritals, Espingouins, Bougnoules, Portos, j’en passe et des meilleurs, plus actuels comme le fameux plombier polonais. « Nos ancêtres les Gaulois » doit donc être complété par les Romains, les Celtes, les Ibères, les Wisigoths, les Arabes, etc. etc.

Or, il est des cas où l’on ne peut choisir. Mon arrière-grand-père maternel, nommé Grininger était Alsacien. L’Alsace devenue allemande en 1870, il ne voulut pas choisir la nationalité allemande et n’eut donc pour tout choix que de quitter son pays et de demander asile en ce qui restait de la France. Par bonheur, on lui accorda avec compassion le droit d’y résider, ce fut d’abord en Auvergne septentrionale, dans le bassin minier de Commentry, lui qui avait été propriétaire terrien en Alsace. On imagine le dépaysement et, bien qu’il maniât la langue française avec un fort accent gorgé de bière et de choucroute, je ne pense pas qu’il aurait apprécié d’être qualifié d’étranger.

Alors, moi qui suis son descendant (et qui vécus d’ailleurs outremer quelques années), suis-je bien de pure souche ? Ne risqué-je pas d’affronter les services de l’administration tatillonne et dans le vent des premiers de cordée ? Pour finir, si d’aventure un de mes petits-enfants se noie un jour, ne lui refusera-t-on pas la main pour le hisser sur la berge ?

La question se complique si l’on se demande à partir de quand est-on de pure souche ? Combien de générations faut-il et finalement combien de siècles d’ancienneté faut-il arborer ? On frôlera le ridicule en se demandant par exemple si étaient bien français Alexandre Dumas, Camus ou Apollinaire, Gambetta ou Valls… et tant d’autres.

C’est évidemment que ces questions sont philosophiquement dénuées de sens, ainsi que bien des déclarations de ceux qui en usent. Ce qui compte, c’est la nature humaine, l’être humain quel qu’il soit et de quelle origine sociale ou géographique qu’il soit, être humein reconnu comme égal aux autres et en droit de vivre et de résider partout sur cette terre.

Et alors, mesdames et messieurs les apprentis sorciers qui jouez – si l’on peut user de ce mot pour qualifier des crimes de sang lorsqu’on laisse noyer des migrants – vous qui jouez donc avec la crédulité et l’indisponibilité des citoyens européens inquiets, mesdames et messieurs qui refusez l’asile et l’aide aux femmes et aux hommes, et encore aux vieillards et aux enfants, non seulement vous êtes dans l’illégalité mais encore dans l’inhumanité et l’amoralité, et enfin dans l’irrespect des traditions d’accueil et d’entraide.

Pour finir, je me demande au fond si j’ai bien fait de naître en cette terre et d’en être automatiquement français. Parce que, figurez-vous, moi, je me sens ici étranger !