C’est un livre que m’a offert un ami Colombien. Cadeau heureux car j’ai découvert un écrivain et un univers méconnu. Il ne s’agit ni de confidences banales ni de références convenues, monnaie courante de ce qu’on nomme littérature au quartier latin. Suicidé à 25 ans, cet auteur que d’aucuns considèrent comme un des grands du XXe siècle, a en tout cas commis un livre fort. C’est l’histoire d’une toute jeune fille de Cali, ville provinciale de Colombie, qui se lance dans une vie parallèle à un monde auquel elle est étrangère, une vie de musique, de drogue, de débauche… Passées les premières dizaines de pages où j’eus de la peine à entrer dans le personnage et le sujet, égrenant des évocations répétitives de concerts (disques et interprétations de chansons anglo-américaines des années 70) qui me sont pour la plupart  étrangères, je ne tardai pas à tomber en une sorte d’ébriété. Vers la fin, l’escalade littéraire suit celle de la défonce de l’héroïne, en convoquant, entre autres grands auteurs hispanisants, Camilo José Cela, son expérimentation littéraire audacieuse et sa passion sexuelle sublimée. Quant à l’écriture, elle tient à la fois de l’orfèvrerie et du lancer de bouteille à la mer : « le transistor […] a commencé à tendre un voile d’ombre sur les montagnes » ; « Nul doute que le lecteur connaît la hâte démentielle de celui qui marche au soleil, cherchant éperdument un mur au pied duquel pousse une frange d’ombre » ; « Non, nous étions impossibles à ignorer, nous autres, nous étions la vague ultime, la plus puissante, celle qui vous arrache au talus qui borde la nuit. » ; « Je lui indiquais comment s’en servir, comment l’enfoncer profondément sans se blesser, parce que à moi ça ne m’a jamais fait mal, et je ne me suis jamais épuisée, et jamais ils ne m’ont remplie, les pauvrets qui finissent si vides. » ; « Le 33 passé en 45, c’est comme si on te flagellait pendant que tu danses, avec ce besoin de tout dire et d’avoir besoin de le dire seize fois de plus […] enlever la bonde de l’esprit ». On pourrait multiplier les extraits, tant tout le livre est une suite poétique. L’ensemble est évidemment bien traduit, on ne rend pas une telle langue si l’on ne la possède et l’adore. Sacrée écriture, en tout cas, que l’on aimerait bien partager ! Allez-y, économisez l’achat d’un des gentils ou indigestes prix germanopratins et avalez à grandes bouffées ce morceau d’enfer-paradis latino !