Parmi les musiciens avec lesquels j’ai travaillé, le mauvais sort a voulu que deux d’entre eux soient déjà décédés. Voici un hommage à chacun d’eux.

 

À Miguel Miranda

Miguel,[1] Un des plus beaux souvenirs de ma vie, c’est d’avoir travaillé avec toi aux récitals de poésie en musique : Par-delà le grand fleuve et Chanson d’amour de loin. Nous les avons créés à Vénissieux et donnés ensemble dans toute la région durant les années quatre-vingt dix. Tu vivais ces projets avec foi et talent. Ta jeunesse, tu avais l’âge de mes filles, donnait une sorte d’estampille qui me semblait nous garantir contre le ringardisme.
De toi, je ne savais que très peu. Tu m’avais raconté comment la vie t’avait déjà blessé en emportant des camarades dans un accident. Je te sentais en quête de toi parmi tout ce que tu savais et pouvais faire, prompt à rompre quand tu avais le sentiment d’être mal ou trop peu reconnu, louvoyant souvent entre tes qualités artistiques et ta volonté de gagner ta vie dans l’informatique. En beaucoup de choses tu excellais, amitié, sport, musique, peinture et je ne savais jamais vraiment où tu te trouvais. En amour aussi, je croyais le deviner malgré ta discrétion, tu as beaucoup navigué sur ton bateau ivre, te heurtant sans doute à bien des récifs. Quand tu es parti, je ne me suis guère étonné. Tu étais pour moi de la race des émigrés permanents qui se donnent à fond là où ils sont et puis un jour s’en vont. Peut-être est-ce tout simplement ce que tu viens de faire par ton dernier geste. Je regrette de n’avoir pas su te retrouver là où tu étais car nous avions encore peut-être des choses à dire et à faire ensemble. En tout cas, ce geste donne pour moi du sens. Il nous alerte un peu plus sur ce temps qui ronge insidieusement en nous l’envie de vivre. Salut Miguel, je t’aime.

À Sergio Ortega

Portrait Sergio OrtegaSergio[2],
Lorsque nous nous rencontrâmes par l’entremise de ma compagne Marianne, je n’en croyais pas mes yeux et mes oreilles, que l’auteur de la musique du fameux El pueblo unido jamas sera vencido, ayant emporté nos enthousiasmes dans les années soixante-dix, voulût bien travailler avec moi pour créer une cantate contemporaine. Le Trésor magnifique, c’est toi qui en as choisi le titre en t’emparant d’un de mes vers. Tu t’engageas dans l’histoire avec enthousiasme, ne rechignant pas à te rendre plusieurs fois dans le Lyonnais à la rencontre des chorales populaires qui allaient chanter tes notes. Avec toi, l’aventure fut lumineuse, tant tu mis d’énergie dans cette oeuvre pour voix et instruments, dont tu partageais et démultipliais la tonalité du texte « tiers-mondiste », et qui devait, voulais-tu, « faire trembler les libéraux mondialistes », comme jadis ton El pueblo unido… composé pour Salvador Allende,fit trembler les capitalistes chiliens et yankees. Tu conseillas avec patience les choristes, parfois déroutés par tes accents puissants, toi qui, ne craignant jamais de déchoir, enseignais même aux illettrés de la musique ! Et nombreux étaient ceux, et surtout celles que tu enchantais. Car tu prenais la musique à la fois comme une histoire d’amour et comme un combat de lumière. Grâce à toi, je crois que, avec les centaines de choristes du lyonnais et avec leurs chefs[3], nous avons adoré cette histoire et gagné ce combat. Merci, Sergio, de tous ces souvenirs et bon vent sur les routes où tu vogues sans doute pour toujours, entre Amérique et Europe, toi dont le continent était le monde entier.
Sergio, nous t’avons tous aimé.

 

(1) Lettre posthume au guitariste Miguel-Oscar Miranda, lue à ses obsèques en 2004 par Thierry Renard (éditeur chez La Passe du vent).
(2)Sergio Ortega, chilien installé en France depuis le coup d’état de Pinochet, compositeur, notamment d’opéras comme Splendeur et mort de Joachim Murieta (texte de Neruda) et professeur au conservatoire de Pantin (93), compositeur de la musique du Trésor Magnifique, est décédé en 2003.

(3)Pour cette production du SICAC (syndicat intercommunal d’action culturelle) créée en 2000 à l’auditorium de Lyon et reprise dans diverses salles de la région, le chef était Pierre Vallin, assisté des chefs de chorales : Francis Jaquet, Daniel Piotin, Christian Michon, Simone Payet, Dominique Therry et Jean-Pierre Bavut ainsi que des choristes.