Ce livre mêle des blocs bruts d’enfance, de maturité et de vieillesse, apparemment tout simplement évoqués avec simplicité et parfois incertitude. Jeune garçon, l’auteur ne s’est pas joint à ses camarades emmenés dans « la montagne » dont ils ne sont pas revenus, victimes de la sauvagerie de la guerre. Du coup, la culpabilité sourd régulièrement entre les pans d’un récit de douleurs successives. C’est plein d’humanité, voire de compassion même pour les autres, les « complices de l’assassinat » : « n’émettant pas la moindre plainte, poussés pourtant régulièrement par les crosses des fusils qui les frappaient sur la nuque ou dans le dos – comme ça, pour rien, pour les humilier davantage ». Tout se succède et se mêle dans le récit qui coule en phrases rythmées, parfois haletantes, longues souvent de plus d’une page, sans que cette sorte de degré zéro de l’écriture lasse, tant la sincérité et l‘authenticité touchent, et tant l’art de l’auteur est sûr. Je me souviens du départ de l’enfant sidéré, de la folle décision du père de rester, puis de son éviction tragique, surtout de l’étrangeté vécue en Catalogne où la mère refusa d’aller danser « parce qu’elle n’avait pas de robe, parce qu’elle leur en voulait, parce qu’elle préférait pleurer près des valises qui avaient encore l’odeur du départ et des quais ». À la fin, quand l’écrivain se projette vers sa fin en Corse, la fiction surgit dans le pathétique : « on n’était pas loin de l’Algérie à partir d’ici ». Ce qui confirme que le naturel apparent des longues phrases coulant si bien est probablement très (bien) écrit, c’est-à-dire de l’art. Et qui finit de m’inspirer un regret : l’auteur n’évoque ici que des douleurs. C’est son ressenti et bien évidemment son droit de l’exprimer, d’autant que dans Madame Arnoul il traduisait plutôt la nostalgie d’un petit bonheur perdu dans la menace terrible. Et aussi une question : pourquoi les grands éditeurs français ne choisissent-ils de préférence que des livres de douleur sur l’Algérie ? Les lecteurs hexagonaux n’attendraient-ils que ces livres sur ce sujet, dans un besoin de résolution d’un vaste complexe national ? N’empêche, c’est un beau livre.