La poésie n’ayant plus de valeur marchande, il est par bonheur des éditeurs pour lesquels elle conserve une valeur vitale. Ainsi sont les éditions NetB qui publient à Colomiers, en région toulousaine, ce recueil d’où sont extraits ces mots : « Assis seul dans le parc qui sépare les mille / cellules empilées où ils se croient heureux / J’observe les hommes. Je m’inquiète pour eux. » La 4è de couverture présente l’auteur comme « architecte et chanteur dans un groupe de hip-hop », une carte de visite qui dit bien la teneur de ses écrits, à la fois très construits et très empreints de culture contestataire. Ce qui donne un étonnant recueil de sonnets, la forme poétique classique la plus contraignante, exprimant pourtant des thèmes souvent fort incarnés, voire quotidiens. Insomnie, EHPAD, Cadres supérieurs, Pornographie, Saint-Sernin, etc sont des titres parmi d’autres. Si parfois certains vers peuvent laisser une impression d’improvisation, voire d’inabouti, on reste médusé par l’ampleur du travail, plus d’une centaine de sonnets tout de même ! Impressionné par la virtuosité qu’affichent ces alexandrins rimés selon les combinaisons si contraignantes du sonnet. Cet artisan insoumis se permet pourtant des rimes cavalières (glisse-orifice, tags-vague…) et prend aussi des libertés à la manière de quelques romantiques dans l’histoire littéraire. Ainsi le modèle où 2 quatrains (4+4 vers) doivent être suivis de 2 tercets (3+3) devient parfois suivi autrement de (2 + 4) ou (4 +2). Une plus grande déviance formelle est encore interne à l’alexandrin, soit de compter les pieds avec le E final prononcé, non muet comme il est à la parisienne : « Mon sexe s’enli-se jusqu’à l’apothéose ». Que Lasserre soit en cela fidèle à une langue populaire méridionale contribue à donner à son travail une couleur culturelle à la fois grégaire et très personnelle. C’est ainsi qu’il touche parfois juste et fort comme en ce texte intitulé un peu inadéquatement (selon moi) « Vampire », parmi les plus beaux chants d’amour que je connaisse : « Ce n’est pas ton sexe que je veux, c’est la nuit / Cette nuit défendue par tes formes convexes […] j’imagine une issue qui mène à ta jouissance… / Qui mène à l’au-delà… » L’art parle de lui-même mieux que tout commentaire. Je laisse dire encore quelques vers au hasard de l’émotion : « On rit dans nos cagoules / En quittant le chalet sous un soleil perplexe. » conclusion d’un récit de casse. « Les chiens noirs du pouvoir dressés dans leurs armures » sont évidemment les flics contre une manif. On frémit à la justesse de sentences telle : « Le bonheur abrutit. La vérité consume. » Et l’on finit emporté par : « Je penserai à toi, mon seul amour, ma faille. » Lisez cela, de préférence à petites doses au coucher, une homéopathie salutaire.