L’Humanité magazine vient de publier cet article signé de ma main et dont je livre ici la plupart du contenu.

« Si tu viens à Toulouse, tu vas voir comme on peut aimer les façades en briques roses et comme on peut y ressentir l’aventure. Vieille capitale vibrante de vie, de jeunes la bouche en chœur et de mémés qui aiment la « castagne », aux terrasses des cafés résonnent à qui veut l’entendre, l’Histoire de héros anonymes et celle d’amours flamboyantes.

À l’envers du Capitole, le square de Gaulle recèle la mémoire du résistant Ravanel humilié, Jaurès et la rocambolesque récupération de son effigie, le bronze de Nougaro qui réécrivit la chanson Ô Toulouse. Passons place Wilson au jardin Goudouli, un poète occitan, phare dans la grande nuit tombée longtemps sur la langue d’oc. Ne ratons pas, sur telle façade Art déco, la mémoire de trois jeunes étrangers qui aimèrent tant la patrie des droits de l’homme qu’ils moururent d’apporter une bombe au cinéma Les Variétés où l’on projetait le film nazi « Le Juif Süss ». […]

Suivons le boulevard jusqu’au carrefour où se font face le bâtiment moderniste des Architectes associés et les hôtels bourgeois de la dynastie du papier à cigarette JOB. Écoute l’écho des Fabulous trobadors chantant en occitan révolte et amour courtois au quartier populaire Arnaud-Bernard.

Poussons vers la Garonne parfois turbulente, canalisée de quais oranges ou chocolat selon le temps, toujours emmitouflée de longues grappes de jeunes jusqu’aux aines des ponts. Et sourions à l’image du dôme vert-de-gris de La Grave, histoire du premier centre anti-cancéreux et de médecins résistants avec Joseph Ducuing, grande Histoire aujourd’hui galvaudée en opération immobilière !

Voici la façade des Beaux-Arts aux muses dévêtues devant le lieu de grandes grèves d’ouvrières des tabacs. Et l’hôtel d’Assézat que fit édifier l’éponyme négociant en pastel… banni dix ans en tant que protestant ! […]

Frissonnons devant la maison de l’Inquisition et la plaque au philosophe Vanini amputé de la langue et brûlé en place du Parlement. Rions dans la ruelle de L’Homme armé, baptisée « du sauvage » pour son appendice ma foi fort civil. La tour de l’ex-prison Furgole nous murmure l’épopée des communards toulousains et celle de résistants de tous poils ou imberbes puisque comptèrent parmi eux nombre de femmes. Histoire d’amour encore avec Jean Cassou, futur commissaire de la République parvenant à composer au cachot (uniquement de tête, sans papier ni crayon) des poèmes à ses pairs : Trente trois sonnets composés au secret, préface de François la Colère (Louis Aragon), paru aux Ed. de Minuit, 1944.

Allons sous les logis de Jean Jaurès, Pierre-Paul Riquet, Jean Calas (martyrisé puis réhabilité grâce à Voltaire), Mermoz aviateur et politique, […] sans oublier la « Belle Paule » qui subjugua le monarque, ni le Jardin des plantes commémorant les Justes et aussi les toulousaines tuant le chef croisé Simon de Montfort qui assiégeait la ville. Au pied des murailles de brique des Jacobins […] se télescopent présent aux couleurs mandarine et tant et tant d’histoires depuis le couvent, le clocher déquillé à la guerre de religion, le culte de l’Ētre suprême, l’armée et la cavalerie d’Espagne sous Napoléon, le congrès de l’unité du parti socialiste et… le lycée de vieux toulousains !

Viens encore au Vieux temple déserté depuis que les « parpaillots » survivants furent bannis dans les villes voisines, à la chambre de Saint-Exupéry en l’Hôtel du Grand Balcon, lieu de repos des « as » de l’aéropostale… et aussi de leurs bringues et de leurs amourettes.

Car c’est l’Amour, le fil rouge de notre balade […] en cette ville de […] la fin’amor. Ici, quand les rois de France étaient encore illettrés, troubadours et troubaïritz (femmes poètes) apprirent à l’Europe médiévale un nouvel humanisme, celui où la femme est au plus haut pour l’homme, objet de culte et de quête. Écoute en ces rues les chants occitans médiévaux, les raffinées poésies gasconnes et languedociennes, les chanteurs de nos jours et les voix de la Belle Paule, Clémence Isaure, dame Richarde, Azalaïs de Toulouse, la Dubarry et encore celles de tant de femmes contemporaines, actrices et témoins, amoureuses de notre temps. « C’est peut être pour ça qu’on te dit ville rose… » chantait Nougaro. Que tu soies dròlle (jeune) ou bien papé, femme fleur ou quelque peu macho, la ville te reçoit tout juste entrouverte et pourtant érotique, parée de toutes ses couleurs. À peine as-tu pris pied dans le désordre et les tons de ses trottoirs et de ses quais, sous ses façades de briques, que tu te sens déjà en « pays de Cocagne ».