Peu enclin à lire les livres primés, j’ai éprouvé émotion et joie avec celui-ci, authentique et fort, des rares prix Goncourt qui devraient rester à la postérité. On peut avoir des difficultés à entrer dans cette langue, sensée être parfois estropiée par la mère, entrecoupée même de mots espagnols, mais souvent forte et distillée avec délicatesse. C’est là un livre non fabriqué pour plaire, qui dit la passion d’un temps et de personnages lors des évènements libertaires de 1936 en un coin d’Espagne aux « innombrables villages transformés en communes collectives libres et autogérées », et aussi ce qui s’en suivit de difficultés et douleurs. Notamment à cause des dignitaires catholiques espagnols qui se déshonorèrent à encourager les dits nationalistes supportés par Hitler et Mussolini, franquistes champions du « viva la muerte ». Et aussi, il faut bien le lire, à cause des guerres intestines entre républicains où les agents de Staline visaient les objectifs propres du « petit père des peuples ». Sans oublier les enjeux internationaux où la France et l’Angleterre portent la lourde responsabilité d’une « non intervention ». Le vécu de la mère est alors une parabole, guide plus ou moins aveugle, amnésique en tout cas, puisqu’elle a oublié toute la suite, tandis que revient un leit motiv douloureux et honorable, celui de Georges Bernanos à Palma de Majorque, condamnant les exécutions et leurs auteurs nationalistes, bien que « ce projet lui harasse l’âme » car « Il pensait avoir touché le fond de la hideur ». Heureusement, il y a les heures de bonheur initial de la jeune-fille, qui vécut avec un poète français un baiser de la durée d’une projection de film et puis la nuit suivante, et en deviendrait mère de la sœur aînée de l’auteur. Il y a aussi l’art de celle-ci incluant entre autres mots d’ordre et chansons : « QUEREMOS VIVIR ! » (Nous voulons vivre !) « Si tuviera veintisiete/Tres horas más te querría » = S’il (le jour) avait vingt-sept (heures)/ trois heures de plus je t’aimerais. Et enfin cette langue si respectueuse et humaine ainsi qu’à la fois si artistique, littéraire vraiment, où elle dit le vécu de sa mère en « cet été où tous les principes se renversent, où tous les sentiments se renversent, faisant basculer les cœurs vers le haut, vers le ciel, ma chérie, c’est ce que je voudrais que tu comprends et qui est incompressible. »