L’Atelier du gué a depuis longtemps rassemblé pas mal d’auteurs de nouvelles, et des meilleurs. Belle idée que ce N° 102 qui vient de paraître, un recueil de textes courts sur le rêve. Comme disait, paraît-il, Lénine : « il faut savoir rêver ». Et pour du rêve, on en fait dans ces verbes sur papier, tellement plus propices à imaginer que toutes les photos du monde. En introduction, Hubert Haddad suggère: « La dimension magique n’étant rien d’autre qu’un approfondissement de la réalité », « mais attention ! Un onirisme maîtrisé », précisera Frédérik Tristan dans le dernier texte. J’applaudis. Aussi resté-je parfois circonspect devant certain jeu verbal qui témoigne à mon sens plus d’une prétention de l’auteur à l’originalité, voire à la virtuosité, que d’un amour à dire l’autre autant que soi. Mais j’ai été parfois transporté. Je donnerais la palme au beau texte de Serge Pey, Les Grillons, où un gamin sait « tuter » les petits insectes en pissant dans leur trou, en se pinçant le prépuce avec une pince à linge chipée à sa mère. Grâce à ce savoir il deviendra capable de déceler d’éventuels gaz ennemis durant la guerre d’Espagne, et sera finalement la mascotte, le protecteur et l’augure d’une unité républicaine. « Quelques soldats pensaient qu’il les protégeait des balles fascistes. Certains que son chant, si jamais ils mourraient, les accompagnerait dans la vie éternelle. » D’autres nouvelles me plurent, comme Hptel de Christine Balbo, histoire d’une femme empêchée de rentrer à l’hôpital et qui rencontre cette nuit-là une cour des miracles d’amputés laissés aussi à la rue. De même la brève Cendres d’Anne Mulpas, drôle d’histoire où un type occupe une guichetière à propos d’un de ses fantasmes, un portrait qui prend vie : « Et moi, j’allais et venais entre deux mondes et deux femmes. » Quant à Hubert Haddad, lui-même auteur du choix de ce cahier, il signe aussi la nouvelle Nowhere at home, rêve prémonitoire où, après un désastre multiple : « Chambord et Chenonceau sont désormais le splendide et délétère refuge d’une poignée de marginaux et autres exclus de la vie simple. » À lire pour le plaisir et pour suivre l’injonction surréaliste : « Parents, racontez vos rêves à vos enfants ! »