Question à la lecture de Porcelaine de Limoges, roman de Jacques Chardonne aux éditions Grasset : Comment un écrivain subtil peut-il en arriver à copiner avec les nazis ? Telle est celle que je me suis posé en retrouvant ce vieux roman dans la bibliothèque parentale. Publié chez Grasset en 1936, ce titre ne semble pas avoir été réédité. Son auteur Chardonne, nom de plume de Jacques Boutelleau, né à Barbezieux le 2 janvier 1884 et mort à La Frette-sur-Seine le 29 mai 1968, est un écrivain et éditeur français qui allait s’illustrer politiquement de manière navrante.
Troisième partie d’une trilogie intitulée : Les destinées sentimentales, le roman conte des histoires de fabricants de porcelaine et de leurs familles. L’auteur est bien renseigné sur les questions techniques de la porcelaine et sur les malheurs du patronat en période de grande crise. Bien plus que sur la condition des ouvrières et ouvriers que je n’y ai pas rencontrée. Les états d’âme des personnages, plus ou moins existentialistes, sentent une prétention à connaître l’âme humaine, féminine surtout, du moins celle des gens de condition aisée entre deux guerres. C’est écrit fort élégamment, voire avec talent mais restant dans les conventions : « et leurs longs cous ployaient chastement sur l’épaule musclée de leurs danseurs. » Cependant transparaît une idéologie : « avec l’appétit de vivre, non pour une cause, une idée, un être, mais pour la joie. » Publication au moment où couve le Front populaire (janvier 1936), elle n’est pas neutre.
Faut-il s’étonner si l’auteur répondit à l’invitation de Goebbels, ministre de la Propagande du Reich, en octobre 1941, avec sept autres écrivains français, tels Drieu la Rochelle et Brasillach à séjourner en Allemagne pour le « Congrès des écrivains européens » ? Or, il revint enthousiasmé, voire favorable à Hitler ! Et l’on apprend que cet éditeur compta parmi plusieurs maisons parisiennes qui publièrent de la littérature collaborationniste. Et l’on lit ses propres dires : « Pétain est le seul grand. Je le trouve sublime. Il est toute la France. Je vomis les Juifs […) et la Révolution française. » Sans commentaire. À la Libération il sera arrêté ainsi que son éditeur Grasset. Et ses livres seront interdits… avant que, le temps ayant passé, il parraine avec Paul Morand une génération d’écrivains de droite surnommée : « Les Hussards ».
On ne peut aujourd’hui trouver facilement ce livre de Chardonne. Mais j’ai voulu l’évoquer car résonne une grave question : comment un intellectuel bon catholique bien en cour à Paris, peut, contrairement à certaines autres personnes même de droite, céder au chant des sirènes et abonder dans le sens d’une extrême droite, soit du fascisme même déguisé ? Question angoissante de nos jours où il devient banal de lire tant de stupides propos sur la haine de l’étranger et de la république du peuple.