Ce livre lu il y a des années m’est resté présent en mémoire, ce qui est loin d’être le cas de tous. Sur les traces de ses grands-parents, l’auteur nous entraîne loin de la capitale qu’ils quittèrent, loin aussi de toute « littérature » actuellement consacrée en les murs hexagonaux. Je note d’ailleurs que, mis à part le prix Renaudot, il fallut un prix des lecteurs et surtout le Nobel pour le reconnaître à sa juste valeur : « explorateur d’une humanité au-delà et en dessous de la civilisation régnante. » Le récit est inspiré par le séjour forcé du grand-père maternel de l’auteur sur un îlot au large de l’île Maurice. Des cas de variole imposent aux passagers du navire de débarquer et de vivre plusieurs mois en quarantaine. Et voici conté le héros, ce grand-père adolescent, mi reconstitué et mi imaginé : « Je l’ai regardé si souvent [sur cette photo] que parfois il me semblait que j’oubliais qui j’étais, comme si j’avais changé de corps et de visage. Alors j’étais Léon, l’autre Léon […] ». L’aventure qui eut pu être un ennui terrible devient une enivrante odyssée d’une poésie rare, si loin de tout sentiment convenu, si près de la nature et de l’humain, très humain, même confronté à l’Autre : la femme indigène. Les autorités de Maurice responsables de cette attente, ce n’est pas seulement aux éléments ou à la fatalité que s’affronte l’homme, mais au pouvoir et à l’étrangeté. Loin d’une de ces innombrables et insipides tentatives de dire ses ancêtres, ceci est écrit avec art en juxtaposant au récit imaginé des pages d’un journal imaginaire, des références à la vie de Rimbaud et aussi à des légendes indiennes, ainsi qu’à un récit en intertexte venant se tisser avec les autres insidieusement comme le métissage des personnages. De quoi montrer que fiction et réalité font le meilleur ménage possible quand il s’agit d’écriture authentique. Que dire de mieux encore qu’en laissant place à cette écriture ? « Elle semble danser sur le récif, elle est ivre de la mer qui monte et du vent, de toute cette lumière d’or qui nous enveloppe. […] Jamais je ne me suis senti plus libre. Je n’ai plus de mémoire. Je n’ai plus de nom. » « Il n’y a plus de poésie. Je n’ai plus envie de lire les longues phrases un peu solennelles de Longfellow. Il me semble que même les mots violents de l’homme d’Aden ont disparu dans le ciel, ils ont été emportés par le vent et perdus dans la mer. »