Cette prairie dont j’avais parlé lorsque le confinement l’interdisait aux citadins et étudiants hors le périmètre d’1 Km, je veux y revenir pour évoquer d’abord sur le cours Dillon qui domine, l’étrange cohabitation de promeneurs ou passagers moyens qu’on dirait « disciplinés » avec masque et distance, et de sans logis ou du moins zonards – a-t-on des mots bien justes pour les désigner ? – lesquels, faute de moyens, se pressent les uns contre les autres évidemment sans masque. Aperçu minime d’une partie de la nation sur qui les consignes sanitaires glissent par force…

Serait-ce que, de l’autre côté du fleuve, le faubourg serait fidèle à sa réputation canaille ? Selon la rumeur, ce cours à l’écart du centre se muait à la fin du XXè siècle en lieu de drague homosexuelle masculine nocturne. J’ai déjà conté l’origine tout ce qu’il y a de plus « bien pensante » de ce cours, bâti sur ordre de l’archevêque Arthur Richard de Dillon, grand seigneur qui allait émigrer sous la Révolution. L’ancien journaliste Louis Destrem contait que des baraquements avaient ici reçu des Espagnols républicains immigrants, tandis qu’après 1940 ils hébergèrent les réfugiés puis les sans logis avec une cantine de la Croix rouge (surnommée « la cloche »), laquelle se transforma – dit-on – en « cour des miracles ».

Un escalier descendant rue Laganne donne accès à la rue des Teinturiers où domine tout de suite la façade rose d’une ancienne fabrique de cierges ! Signalée par une enseigne gravée en fronton au-dessus de la grande grille : « MANUFACTURE DE CIERGES ET BOUGIES », elle fut construite fin XIXe par la famille Bernady, fabricante depuis longtemps en ce quartier qui devait sentir l’encens autant que le remugle des cochons du marché voisin.

Actuellement occupés par un lycée privé Jasmin-coiffure, les vastes bâtiments de style architectural toulousain XIXe, témoignent de leur siècle, de l’activité industrielle et de l’influence de la religion papiste dans ce quartier. Qui se souvient des « cagots », sorte d’intouchables interdits sur la rive droite sauf exception pour y travailler, et qui résidaient donc jadis à Saint-Cyprien comme pas mal de métiers et personnes non désirées dans les beaux quartiers ? Surtout pas les adolescentes d’un autre monde qui se pressent à l’entrée !

Parmi les immeubles voisins, des appartements récents se trouvent à la place d’une ancienne clinique déjà évoquée pour « les malades des deux sexes, peu fortunés », sous la surveillance des religieuses de l’ordre de Notre Dame du Calvaire. Car une partie de ce quartier en voie de gentrification était propriété gérée par des ordres religieux catholiques et l’on y respirait une atmosphère compassée. Reste entre autres un vestige de qualité : la radio catholique baptisée « Radio Présence » aux émissions évidemment cultuelles n’excluant pas des chroniques artistiques et littéraires informées et compétentes.

Or voici que se reproduit un fâcheux événement. De l’autre côté, sur la rive de la Garonne l’espace inondable, jardin riant avec plates-bandes, gazon et jeux d’enfants est à nouveau interdit pour cause de pandémie. Vicissitudes du temps présent qui furent précédées de certaines autres. La mémoire locale rapporte que l’on planta ici un champ de pommes de terre durant la Grande Guerre. Parfois on apporta là du sable en été. Plutôt que le peuple à la plage, la plage au peuple… Évocation des mots de l’écrivain Pierre Gamarra : « Ce n’est point le midi azur et or, le midi carte postale comme celui de la Côte d’Azur, c’est un midi plus voilé, plus mouillé .»

Pour le sourire (jaune), la prairie fut habituellement vouée à des concerts et spectacles en plein air comme le festival Rio-Loco. La vue de ce jardin vide de monde est lourde du désert culturel qui se crée depuis un an en France sous la férule d’un pouvoir décrétant, au prétexte de mesures sanitaires, l’interdit de toute activité culturelle publique. Ici où se sont produit des artistes de qualité et appréciés pour tels, Claude Nougaro, Joan Baez et Emir Kusturica entre autres, on ne voit même plus de mémères promenant des chiots caractériels en évitant les produits de pigeons obèses. On annonce que, si la situation sanitaire le permet, Rio Loco AFRIKA 2021 se tiendrait cette année sur une durée de 8 jours, soit du 13 au 20 juin…

Reste à prier le dieu des artistes et du peuple, si toutefois il en a un.