Près du pont Saint-Pierre s’ouvre la place éponyme. En toile de fond aux ocres et vieux roses de la rive gauche, au-dessus de la Garonne aux teintes mouvantes, du chocolat au pastel selon l’humeur du fleuve capricieux et celle du ciel toulousain, c’était un lieu de rencontre favori, surtout en soirée.

Près du pont jadis suspendu selon le célèbre Eiffel, aux structures inoubliables, le plus célèbre bistrot est Chez Tonton Le Pastis Ô Maître, à l’origine « Le Suspendu », dont les tableaux surréalistes sont d’un étudiant des Beaux-Arts toulousains. Les soirs de fête, les consommateurs avaient coutume de déborder sur les trottoirs avec ceux des autres cafés : La couleur de la culotte et Le saint des seins (ce dernier recevant des groupes de rock), le tout composant un lieu festif du genre débridé, convenable à la ville universitaire.

La place tire son nom de Saint-Pierre-des-cuisines, la plus vieille église du Sud, quasi attenante (l’entrée est située rue de la Boule) et construite sur une ancienne nécropole gallo-romaine, tenant peut-être son appellation d’une version dérivée de l’occitan coquins, prononcé « couquines » et désignant des petites gens. Avant d’être un collège et, bien plus tard, un auditorium, le lieu avait été le théâtre d’un acte d’importance, l’avènement d’un premier acte républicain en 1189, le comte Raymond V reconnaissant les privilèges de la commune dirigée par des Capitouls.

Ainsi, la silhouette massive et forte de l’édifice de briques roses a-t-elle un sens caché, loin sans doute des étudiants en droit, management et Cie, enfants de couches plutôt aisées, pour qui cette place était devenue un lieu de rendez-vous. Loin aussi du siècle précédent où le lieu était fréquenté par le peuple, lequel fut chassé vers les quartiers périphériques.

Des photos montrent des maisonnettes nommées « octrois » qui flanquaient l’entrée du pont alors suspendu, ce pour le péage qu’il fallait acquitter à la limite de la ville. Des peintures rappellent les blanchisseuses officiant sur les « plates », bateaux-lavoirs, tandis que les « pêcheurs de sable » travaillaient sur des dragues et sur les débarcadères. Je me souviens aussi que s’ouvrait plus récemment sur la place l’hôpital militaire qui, bien après que j’eusse dû y consulter pour mon départ outre-mer, laissa place à un ensemble immobilier de standing.

Qu’il est bon de goûter un moment sur un banc, au parvis ou près de la murette, dominant le fleuve tandis que passent piétons et vélos suivant la piste au long des quais, sur cette place actuellement tendance, animée au gré des époques depuis le temps de l’Église médiévale, celui de la Belle époque, et aussi celui de nos passages d’une rive à l’autre !

Un fleuve étant toujours une frontière, on peut aimer songer que de l’autre côté commence la Gascogne, différente quoique similaire au Languedoc en ce qu’il s’agit toujours d’Occitanie en ce monde qui hésite. Le temps passé où l’on devait acquitter un droit de passage à l’octroi est-il si loin, quand il est interdit de consommer en lieu public ou en terrasse, et ce par édit d’une autorité suprême ?

Pour le sourire, les fêtes nocturnes, plébiscitées par les étudiants surtout le jeudi soir, et qui ne sont plus que souvenirs présentement, convenaient moins à certains résidents ou même aux passants moyens, parfois contraints à un détour pour éviter sur les trottoirs les trop pleins issus de la bière. Les riverains se plaignant des incivilités, dégradations et nuisances dont les sonores, générées par les clients, des urinoirs pour les deux sexes furent essayés en ce lieu, sans lendemain. On sait pourtant que des vespasiennes, à usage masculin, étaient jadis disséminées en maints lieux de la ville. Disparition fait de la parité ?

Ce quartier jadis repaire de pêcheurs de sable, lavandières, porte-faix, rouliers, etc, fut rénové d’après le projet d’un urbaniste catalan. Dans une « gentrification », la place a muté en rendez-vous de divertissement où, sur les dalles et sous les platanes, la boisson pourrait couler comme le Léthé de l’oubli. Or, c’est plutôt la saison sèche avec le couvre-feu, tandis que deux vastes escaliers flanquent le pont en descendant au débarcadère, accès au fleuve propice aux rêves d’embarquement pour Cythère où autres Florides.

Car selon Montesquieu « L’air, les raisins, le vin des bords de la Garonne et l’humeur des Gascons sont d’excellents antidotes contre la mélancolie ».