Peu enclin à me passionner pour des livres traduits (les éditeurs gagnent plus sur les traductions qu’ils préfèrent à l’édition d’auteurs français), je me suis laissé tenter par ce roman encensé par Elle il y a une dizaine d’années. L’histoire est banale, un homme qui retourne à son amour de jeunesse, écrite assez platement si la traduction est bonne. Mais elle est traitée avec finesse, sans machisme, avec respect et même culte de la femme énigme pour l’homme. L’obsession qui étreint le héros revêt même parfois une dimension tragique. Pourtant, je suis sidéré qu’on ne rencontre pas la condition des femmes – ou même des hommes – du japon. Il y a bien l’évocation du milieu des affaires, plus ou moins louches comme partout, en la personne du beau-père. Mais nulle indication de décor ou à plus forte raison de culture. Pas de géographie ni d’histoire ! L’aventure eût pu se passer aussi bien en Europe, et pourquoi pas à Paris, dans le quartier de la revue féminine qui déclara : « L’heure est enfin venue de porter l’auteur en triomphe » ? Bizarre, sachant ce que je crois savoir du Japon où l’économie galopait sans doute mais où les employées se prosternent toujours devant le patron ! on dit la culture occidentale prisée chez eux, mais quand même, les références musicales ne renvoient qu’au jazz ou au classique : « Il s’agit de Roméo et Juliette, en fait. Ellington et Strayhorn avaient composé cette musique pour le festival Shakespeare de l’Ontario. » Il est vrai qu’il s’agit ici de classes supérieures, aisées et oisives. Ceci dit, je n’ai pu refermer le livre avant la fin, tant est tendu le récit, entre petits événements et grands états d’âme, ceux d’un homme entre deux âges, déchiré entre son foyer et ses rêves, fantasmant dans une passion étrange et généreuse pour une fille boiteuse et peu jolie de son enfance. Je vous en conseille quand même la lecture pour quelques jolies notes : « Deux corbeaux […] jetaient un cri dur et perçant pareil à un reproche dont l’écho se répandait comme un frisson glacé » et aussi pour la fascination de l’érotisme féminin libéré : « Elle prit alors mon sexe dans sa main gauche et se mit à le lécher. Ensuite elle glissa son autre main sous sa jupe. » Enfin pour l’humanité et la sensibilité du héros : « Pourtant, depuis que Shimamoto-San avait disparu, j’avais l’impression de vivre sur la lune, privé d’oxygène. »