Le polémiste Zemmour bénéficie de supports de la part de grands médias. Et aussi d’une compréhension, pour ne pas dire complicité, de la part de certains décideurs. Ainsi peut-il décliner sur les ondes des lieux communs aux relents de bas, voire sordides étages. Entre autres, il se déclare :« philosophiquement pour la peine de mort ».

On se souvient que c’est sous la nouvelle présidence de Mitterrand, dans le mouvement généreux et optimiste de 81, que le ministre de la Justice Badinter fit voter l’abolition. « Demain, grâce à vous la justice française ne sera plus une justice qui tue » a-t-il conclu. C’est connu, la mesure fut votée par l’assemblée alors qu’une forte majorité du public restait partisane de cette peine ancestrale. Et l’on pourrait aujourd’hui s’ébaudir que l’archaïque loi du Talion soit élevée au rang de pensée philosophique par un prétendu champion du sens commun.

Or c’est dans le discours de Badinter lui-même que l’on trouve l’argumentation la plus concluante en faveur de cette abolition. Il faut le relire pour suivre la déclinaison des moments historiques et raisons pratiques acheminant vers l’abolition. Pour revoir bien des plus grands politiques français invoqués : Hugo, Clémenceau, Gambetta, Camus, Jaurès… Ce dernier est d’ailleurs cité : «La peine de mort est contraire à ce que l’humanité depuis deux mille ans a pensé de plus haut et rêve de plus noble. Elle est contraire à la fois à l’esprit du christianisme et à l’esprit de la Révolution.» On connaît aussi le formidable plaidoyer pour l’humanité par Victor Hugo qui émut la chambre sans convaincre encore sa majorité. On connaît moins la position de Sade (oui, Sade en personne) qui s’opposait à cette peine ainsi qu’à d’autres actes prétendus moraux. Bref, tout ce qu’il y a de plus généreux, de plus raisonnable, de plus réaliste, de plus intelligent en France, conduisit à l’abolition passée.

Or, voici qu’un petit monsieur, dont le mérite essentiel est d’être adoubé par des propriétaires de médias, s’arroge le droit de contester cette avancée de l’humanisme et de la civilisation. Qu’est-ce qui fait donc que ses assertions à l’emporte-pièce, souvent du niveau de discussion de comptoir, voire de caniveau, soient reçues et propagées comme respectables ? Sans doute, la liberté d’opinion est justement garantie en droits de l’homme. Mais lorsque la diffusion d’une opinion relève de l’irrespect et incite à la haine, il faut voir…

Mais replaçons nous au niveau de la réflexion. La question de la mort est majeure en philosophie : « Philosopher, c’est apprendre à mourir », écrivit Montaigne. Il est de fait que cette question, même si l’on affecte souvent de l’ignorer, hante notre inconscient. Si bien que les religions inventent à qui mieux mieux une immortalité. C’est pourquoi la philosophie raisonne souvent à ce sujet. Ainsi, le syllogisme type décline une relation logique : « Tous les hommes sont mortels, or Socrate est un homme, donc Socrate est mortel. »

Pour le sourire, lorsque j’étais professeur dans une vie antérieure, je faisais remarquer aux élèves que l’on pouvait raisonner faux dans ce que l’on appelle un sophisme, en souvenir des sophistes qui faisaient profession de démontrer n’importe quoi : « Tout ce qui est rare est cher, or un cheval bon marché est rare, donc un cheval bon marché est cher ! » L’erreur réside ici dans le tour de passe-passe de concepts qui ne recouvrent pas les mêmes contenus…

Revenons en aux partisans de la peine de mort. Ils ne s’appuient même pas sur un raisonnement, seulement sur une opinion, celle selon quoi cette peine serait dissuasive et morale. J’ai déjà dit ce que vaut une opinion en tant que telle, soit pas grand-chose, ne reposant sur aucune preuve ni démonstration. Or les criminologues constatent qu’il n’y a pas corrélation entre la menace de cette peine et une baisse de criminalité.

Revenons-en à la morale. Qu’est-ce qui peut justifier que je m’arroge le droit de disposer de la vie d’autrui ? Et – alors que cette vie est un bien précieux, fragile et daté – qu’est-ce qui peut justifier que je m’arroge le droit de priver mon prochain de cette vie ? La réponse de Camus est : la crise de l’Homme. C’est une profonde crise de civilisation que confirmerait un retour à la peine de mort dans nos sociétés modernes.

Ajoutons que – et c’est lui faire bien de l’honneur – Monsieur Z le confirme : en temps de crise, tout est possible, même d’élever une sottise au rang de sentence.