Au café Le Florida, place du Capitole, la distance est aussi de rigueur mais l’émotion demeure en un lieu emblématique de la ville, très fréquenté et où je fis mes premières parties de flipper en tant que lycéen à l’école buissonnière il y a… plus de soixante ans.

Salle de réunion jadis fréquentée par des réfugiés espagnols puis par des militants étudiants, l’endroit doit son succès à sa situation et aussi à son atmosphère « Belle époque » avec miroirs peints au plomb par le nommé Bordieu pour l’ouverture du café en 1874.

Invité à y retrouver quelqu’un au cours d’un banquet, mon émotion fut redoublée lorsqu’on aborda le sujet de la fin de vie et du souci de ne pas « mal mourir » en France. La déléguée départementale de l’ADMD (Association pour le droit à mourir dans la dignité) confirma que dans le pays des droits de l’homme on n’a toujours pas le droit de choisir une fin digne et sans douleur. La loi, régulièrement revue pour calmer inquiétudes et aspirations de la grande majorité des gens, ne permet en effet qu’une mise en sédation profonde et prolongée.

Sachons que cela fait en quelque sorte mourir de faim et de soif. Et encore est-ce le corps médical qui décide l’acte et le moment, et non l’intéressé ! Il existe une possibilité que publie l’association : désigner par avance une « personne de confiance » et signer des « directives anticipées ». Mais le médecin peut s’y conformer… ou pas ! Soyons donc clairs, on n’a toujours pas le droit de décider et de régler sa propre mort. Ce tabou est des plus violents de notre culture, les charges d’associations ultras catholiques contre l’ADMD confirment : seul dieu décide de ma mort, si bien qu’un suicidé n’a pas droit aux obsèques religieuses…

Que l’on est loin du banquet antique ou le philosophe boit de son propre chef un bouillon de ciguë parce qu’il juge devoir mettre lui-même fin à ses jours ! Nicolas Bedos dénonce la loi Leonetti, qui exclut l’acharnement thérapeutique mais condamne l’euthanasie dite active. «Quant à la prise en charge des patients en fin de vie, nos courageux soignants méritent une formation psychologique afin que ceux qui s’en vont emportent avec eux des souvenirs de douceur, de respect et rien d’autre », poursuit le réalisateur de La Belle époque.

On a entendu parler d’Alain Cocq, atteint d’une maladie dégénérative orpheline, dont Emmanuel Macron a décliné la demande de bénéficier d’un sédatif pour mourir. Le président a rappelé ne pas être «au-dessus des lois». Ces lois, il appartient donc au peuple de demander à les changer. Si la terreur médiatique propagée au temps de la covid lui laisse encore son libre arbitre…
Ce combat pour le droit à sa propre mort rappelle le long combat pour le droit à l’avortement qui aboutit en France quand Simone Weil fit voter l’assemblée. En repassant dans ce bistrot qui abrite fréquemment des réunions humanistes, je me prends à songer, tout en contemplant au plafond la verrière décorée de plantes et fleurs. Comment meurt-on aujourd’hui en soins intensifs, dans le coma ou pas, sous autorité de qui, sans accompagnement familial ? Est-ce un fait de « progrès » et d’humanité que cela ?

Je me souviens comme la compagne d’un ami me transmit une demande d’aide pour son compagnon en fin de vie, lequel n’avait même pas accès aux soins palliatifs dans un hôpital du Sud trop plein. Et je me souviens de mon sentiment de totale impuissance, à la fois douloureux et source de colère.

Pour le sourire, fuir l’idée de la mort me rappelle la chanson de Jean Ferrat : « Une femme honnête n’a pas de plaisir », qui, on l’imagine, éteint la lumière afin de ne pas voir ce qu’elle s’interdit, tout en le pratiquant ! Curieuse logique de vivre en évitant de penser à la fin…

Opposer un obstacle aux Lumières, c’est la définition de l’obscurantisme. Pourtant, « Philosopher, c’est apprendre à mourir », assurait Montaigne. Cette phrase qui résumerait sa philosophie est perçue comme pessimiste et macabre, alors que Montaigne est le philosophe de la joie de vivre et de l’humanisme, portant l’amour de la vie et de la jouissance à son paroxysme.

Faut-il vraiment se cacher que le chemin a une fin pour jouir du trajet ? Oublier le but et l’origine, c’est circuler ainsi que les « Voyageurs de l’impériale » sur une diligence dont Aragon conte dans le roman éponyme qu’ils ne voient pas la route, allant dans la vie en aveugles.

Hélas, on ne voit guère ce que la cécité peut apporter au bonheur.