Le carrefour baptisé Duranti (du nom d’un président du parlement de Toulouse, acteur et victime de la guerre de religion) était autrefois désigné du nom de Saint-Michel. Doublé de la place Lafourcade avec sa fontaine Ariège-Garonne, c’est un grand croisement de la cité, aussi lieu de grands marchés dominicaux tandis que s’y élève le tribunal où étaient jugés en comparution immédiate les gilets jaunes. Je me souviens aussi des bals et des grandes foires qui se tenaient là naguère. Or, passées 21 heures l’endroit est désert, car nous voici au temps du couvre-feu.

Au Moyen-Âge une sonnerie avertissait d’éteindre les lumières et de ne plus sortir, pour raisons de sécurité contre les incendies ou… contre des malandrins ou révoltés. Mesure souvent, voire toujours, ambiguë, le couvre-feu décrété soi-disant par sécurité, l’est aussi pour contraindre par force. Et je me souviens d’un autre temps pendant la guerre d’Algérie où la métropole était aussi secouée.

Bientôt en situation d’être mobilisé, je bravais pourtant la nuit déserte pour filer vers un rendez-vous galant, quand je fus arrêté en plein carrefour Saint-Michel par une voiture de police d’où descendirent hommes équipés avec chien. Par bonheur, muni de mes papiers, on me laissa poursuivre sur ma bonne mine. Mon souvenir est vague du fait des décennies écoulées, le lieu était désert, mal éclairé et n’avait pas encore été l’objet des grandes transformations qui creusèrent un passage souterrain pour les voitures avant qu’il fût comblé pour tenter de redonner priorité aux piétons avec le tramway actuel.

Je me souviens de la pesanteur qui pesait sur la ville, une atmosphère obscure, sinon de nuit et brouillard. Né pendant la deuxième guerre mondiale, je n’ai connu qu’inconsciemment le couvre-feu imposé par la Wermacht. Mais on ressent bien comme la mesure actuelle prolonge l’anaphore présidentielle de la guerre au virus. Sachant que la guerre est un moyen de chercher l’unité nationale à quoi mènera le couvre-feu ?

Les esprits éveillés ne s’y trompent guère. Cette annonce a rapidement fait réagir Jean-Luc Mélenchon qui affirma que “60% des contaminations ont lieu au travail ou à l’école ou à l’université entre 8h et 19h”. “Mais Macron interdit les sorties au bar et au restau entre 20h et 6h”, “bienvenue en Absurdie” ! Ce à quoi crut répondre le ministre de la Santé Olivier Véran, expliquant qu’il (Mélenchon) “confond(ait) clusters et diagnostics” et rappelant que “60% des clusters, ça signifie 10% des contaminations identifiées”.

On se souvient pourtant que 127 étudiants de l’école d’ingénieurs : Institut national des sciences appliquées (Insa) de Toulouse ont été testés positifs au Covid-19 après la rentrée et que tous les cours eurent alors lieu à distance. Laissons aux spécialistes la guerre des idées sur la contamination, en sachant qu’on ne sait pas grand-chose du virus, des moyens de propagation et de défense. L’essentiel est en fait l’enjeu politique et idéologique, ce que Camus n’ignora pas dans L’Homme révolté :
« La philosophie des lumières aboutit alors à l’Europe du couvre-feu […] la Cité universelle, qui devait être réalisée dans l’insurrection spontanée des humiliés, a été peu à peu recouverte par l’Empire, imposé par les moyens de la puissance. »

Pour le sourire, si la part des clusters était – comme assura le ministre – très faible dans le nombre total des contaminations, on se demande à quoi rime la comédie de la détection systématique. Et pour le sourire grinçant, notons que restaurants et cafés, théâtres et cinémas vont certes payer la facture. Mais qui voudrait sortir le soir dans la ville rose ? À une grande majorité, ce sont les jeunes, l’animation nocturne de certains lieux comme la place Saint-Pierre en témoigne habituellement. La plus grande ville universitaire après Paris voit donc ses jeunes cloîtrés, en confinement nocturne, ce qui – ne nous y trompons pas – n’est pas propice aux bons résultats scolaires pâtissant déjà des perturbations de l’enseignement cette année.

Et je me souviens comme un temps fut décrété un couvre-feu visant les Algériens, bien après que les nazis eurent publié le couvre-feu pour les Juifs. Une autre génération et, après avoir mis les vieux dans la case des perdus d’avance, voici que l’on parque les jeunes comme dangereux ! Et règne une odeur dont on se passerait bien en l’occurrence, celle de l’abandon et du rejet de catégories de population.

Pas si loin du racisme…