Publiée en 1947, La Peste d’Albert Camus, une des plus grosses ventes de littérature, évidemment remise en actualité par l’épidémie de Covid, rappelle qu’une maladie en cache souvent une autre. Celle de la peste à Oran avait déjà donné lieu à de multiples lectures. L’auteur écrivait à Roland Barthes : « elle a comme contenu évident la lutte de la résistance européenne contre le nazisme ».

Ce récit retrace l’histoire d’une épidémie de peste qui frappe la ville, la coupe du monde extérieur et agit comme révélateur de comportements très contrastés dans la population. Sont décrites les étapes de la montée d’un fléau qui s’abat sur une société prise au piège : incrédulité, confinement forcé, isolement, séparations, hôpitaux débordés, enterrements hâtifs…

Toutes choses qui font que ce roman résonne de manière singulière en nos temps de nouvelle vague de pandémie. Aussi, profitant de l’absence d’une chroniqueuse littéraire que l’on attend au studio comme l’Arlésienne, je m’arroge le droit – provisoire et prudent – de réfléchir à ce propos.

Une citation de Daniel Defoe est affichée en épigraphe du livre : « Il est aussi raisonnable de représenter une espèce d’emprisonnement par une autre…». Elle nous incline à penser qu’il y a dans ce livre de quoi réfléchir aux révélations et conséquences de tout fléau naturel qui cache souvent un désastre humain.

On sait qu’eurent lieu des épidémies de peste noire en Europe, entre autres à Toulouse où le tiers de la population fut aux quatorzième et quinzième siècles victime de la maladie rapidement mortelle. Le résultat (ou la correspondance) fut que la ville régressa au point que des faubourgs furent désertés et abandonnés tandis que le nombre de gens de métiers diminuait de moitié.

Pour le sourire, les remèdes peuvent sembler dérisoires. Des Diafoirus portant masque en bec d’oiseau assurèrent : « Le plus souverain remède c’est se retirer bien tost du lieu infecté, et s’en aller loing et revenir plus tard  ». Ainsi le Professeur Augier Ferrier qui enseigna à Toulouse (selon son biographe : mon ami Jean-François Gourdou). Et l’on assista encore dès 2020 à une migration inattendue de parisiens allant se réfugier en campagne, du moins de ceux qui en ont les moyens !

Or est intervenue une énorme différence avec le temps des quartiers d’isolement des malades : l’invention de vaccins qui ont éradiqué maintes maladies terribles de nos enfances, comme la poliomyélite ou la variole. Pourtant a lieu une résistance à l’usage des vaccins contre le covid, en méfiance, voire défiance envers des laboratoires privés et lucratifs spéculant sur la vente de produits, ainsi qu’envers les gouvernements qui les décrètent d’intérêt public. Et à mon sens, cette résistance révèle davantage.

J’ai déjà parlé d’une confusion entre la défiance envers le régime politique et envers des mesures de salubrité tout de même édictées par des hommes de l’art. On peut comprendre et à la fois critiquer cette confusion. Mais encore, les choses vont plus loin.

Si ce genre de résistance paradoxale peut s’observer, c’est que, ainsi qu’une réflexion métaphysique est provoquée par La Peste de Camus, c’est une profonde suspicion, un profond refus et une profonde angoisse qui furent déclenchés ou renforcés par la pandémie. S’ajoutant à l’angoisse d’une menace climatique contre laquelle il semble que l’on soit incapable de prendre des mesures, l’opposition actuelle à la vaccination révèle une situation personnellement et socialement traumatique.

Par-delà des réserves sur la sûreté, l’efficacité et l’opportunité des vaccins, c’est de bien plus qu’il s’agit lorsque l’on se condamne non seulement à l’isolement et à une résistance minoritaire, mais encore à une « fièvre obsidionale » (Larousse : psychose collective qui frapperait la population d’une ville assiégée). Pour ainsi se dresser hors société, hors civilisation et hors culture, il faut avoir une puissante raison.

Sans les approuver, on peut ainsi entendre la situation de « récalcitrants » arc-boutés dans une opposition à la fois violente et désespérée au monde capitaliste de Big brothers dit « libéraux ». Tentant de refuser le mode de vie actuel, ils peuvent sembler parfois inconscients. Ils affichent au contraire une conscience exacerbée.