Chapeau, l’ami Madjid, pour la compétence et la complétude de ta connaissance de la poésie algérienne francophone ! Ce recueil de poèmes choisis est précédé d’études édifiantes (et fortement référencées). L’auteur a le grand mérite de n’en pas rester à des Kateb Yacine, pourtant justement cité comme phare de la littérature algérienne. J’y ai retrouvé le rôle de Jean Sénac, poète et promoteur enflammé et courageux des jeunes poètes algériens en français*, dans l’Algérie de Boumediene, nationale et tiers-mondiste mais aux libertés pétrifiées. Je m’y suis remémoré le personnage paradoxal, au moins pour nous français, de Bachir Hadj Ali, à la fois grand poète et secrétaire du PCA (Parti communiste algérien). J’ai appris que certains romanciers contemporains débutèrent par la poésie, Rachid Boudjedra n’étant pas le moindre. Et j’ai découvert de splendides voix au gré de la rutilante histoire : entre autres Anna Gréki, d’origine européenne et native des Aurès, ayant écrit et agi pour l’indépendance et qui dit son mal être ensuite : « Je ne sais plus aimer qu’avec la rage au cœur ». Aussi le presque homonyme d’un autre élève, le poète Ahmed Azeggah, d’ailleurs né à Bejaia, auquel on doit ce cri de la génération post-guerre : « Arrêtez de célébrer les massacres / Arrêtez de célébrer des noms / Arrêtez de célébrer les fantômes : Arrêtez de célébrer les dates ». Profondément enracinés dans la culture populaire là-bas, les poètes y sont pourtant méconnus comme de ce côté-ci du Grand-fleuve, malgré l’étonnant renouveau présent de centaines d’éditeurs algériens. Question brûlante de la langue (« butin de guerre » pour Kateb Yacine), conditions carcérales ou sous l’éteignoir, héritage de plus d’un siècle colonial et d’un cinquantenaire cadenassé, ils dessinent pourtant un fleuron de civilisation, aussi brillant qu’enflammé ou douloureux. Sans que les thèmes forts, résistance, féminisme, etc. évacuent l’audace formelle : « PIM PAM POUM / Le cadi qui essuie / PIM PAM POUM / Le viol est fini. » (Hamid Skif). Tahar Djaout, un des premiers intellectuels assassinés dans la « décennie noire », écrivit : « L’horizon fertile accouchera d’autres mirages, / Le bleu du ciel récidivera, / Le vent marin décoiffera d’autres têtes où fermente l’aventure / Caressera d’autres mains où les veines se nouent d’impatience. / Mais la nuit de l’oubli ne viendra pas. »

* Dans des publications et une émission très écoutée – et contestée par le pouvoir – il fit connaître entre autres un de mes anciens élèves à Bejaia : Hamid Tibouchi.