J’ai gardé des mois ce livre sur mon bureau. Peu enclin à me passionner pour des aventures moches et pour un genre noir que je dirais behaviouriste, faute de mieux, et pourtant encensé par bien des amateurs de polars. Et puis, difficile de traiter d’un livre-culte (Almodovar en a fait le film « La Piel que habito ») tandis qu’après son décès, Thierry fut l’objet d’éloges sincères – et mérités – par ses pairs et amis. Je fus pourtant frappé d’emblée par l’élégance et la correction simples de l’écriture. Peu des romans noirs que j’ai lus me semblent posséder les qualités conjointes de l’efficacité et du classicisme. Rétif à toute jubilation devant le trou noir, j’ai pourtant cédé à l’envoûtement dans cette affaire. C’est un thriller bien mené, froidement, implacablement, sans fioriture mais sans délectation sanguinaire. Moi qui aime le réalisateur espagnol emblématique de la Movida, je crois qu’il a rétréci l’ampleur des questionnements en filigrane dans l’angoisse qui sourd du roman. Dans le film il est question surtout de transsexualité, vue notamment sous l’angle médical. Pourtant s’entretissent aussi dans le livre plusieurs fils détricotant les difficultés du sexe masculin… Il faut le lire pour voir. Pour en savourer la construction et aussi l’écriture. Entre autre le jeu des locuteurs où, entre deux narrations plus classiques, un observateur hors champs s’adresse en italique à la victime : « Il a posé la torche sur le sol et, t’agrippant par les cheveux, il a tourné ton visage vers le rayon de lumière jaune. Tu étais aveuglé. Il a parlé de nouveau. / Oui… c’est bien toi ! »  Et de petits bijoux de phrases simples et lustrées : « L’araignée reparut sans tarder et, de ses grosses pattes, retourna sa proie avant de tisser un cocon, enfermant l’insecte pour le ranger dans une anfractuosité du mur, en prévision d’un festin futur. » Métaphore pas réjouissante, mais emblématique de cette histoire et peut-être, aussi, de tout un monde. À apprécier, mais à lire avant de boire un coup pour chasser les cauchemars.