Je n’avais pas jugé jusqu’alors devoir lire un auteur dont tous les médias annoncent le prochain roman six mois à l’avance tandis que des milliers d’autres galèrent des années pour tenter d’obtenir ne serait-ce qu’une lecture chez un véritable éditeur. Cependant, préoccupé ces temps-ci par l’avenir, j’ai voulu récemment me lancer dans les presque 500 pages de son quatrième roman qui a reçu le prix Interallié en 2005. Il s’agit d’un roman dystopique, tentant de donner une vision d’un futur – disons – au contraire d’une utopie. Cela commence fort par un avertissement définissant « la position de l’écrivain qui est la mienne » : dans une cabine téléphonique après la fin du monde, appelant partout toujours sans réponse… On se demande pourquoi et comment écrit-il alors des livres publiés par centaines de milliers d’exemplaires !

Je n’ai pas voulu compulser les commentaires dithyrambiques accompagnant la sortie de cet opus comme celle des autres. J’ai lu personnellement et loyalement, prêt à m’émouvoir ou à m’ébaubir comme à m’indigner au besoin. Et je dois dire que je n’ai pas été déçu. Car cela commence très fort : « j’eus la vision de sa chatte – saccadée, pixellisée, mais étrangement réelle. » Certes, la problématique semble existentielle : « chatte branchée sur les mystères […] sur l’essence du monde », mais plus loin se confirmera un discours trivial, pornographique bien que tragique, à des années lumière de l’érotisme poétique.

Heureusement, l’auteur a conçu pour débiter ce genre de réflexion un roman exprimant aussi et surtout l’angoisse d’un avenir intelligemment imaginé et bien documenté comme possible. Il nous livre un montage ingénieux et même, soyons justes, assez voyant, par lequel écrivent des personnages de temps différents : un futur médiatique proche ressemblant comme deux gouttes d’eau à notre présent… et un autre avenir lointain au bout de longs siècles (après une série de catastrophes terribles, dites Diminutions) temps de « néo-humains » : surhumains biologiquement et technologiquement mais privés d’humanité sentimentale. Et je dois avouer que ce roman est bien expérimental au sens aragonien, en ce qu’il tâche d’imaginer par avance le vrai à venir ou du moins le possible, hélas. Cela ne manque pas de sensibilité à vif, voire de lucidité vertigineuse. Par delà une nostalgie de l’amour possible seulement au futur passé, quel pessimisme absolu dévalorisant tout et tous, y compris soi-même ! J’ai coché maintes et maintes pages, il faudrait tout un livre – et peut-être plusieurs – pour analyser celui-ci. Reconnaissons qu’il s’agit d’une tout autre pointure que bien des publications actuelles revenant à des confidences à peine questionnées. Le jugement final : « Le bonheur n’était pas un horizon possible », confirme que, si l’auteur est comme un de ses personnages d’« une veine anarchiste de droite », il allie à une conscience d’écorché une désespérance qui séduit évidemment ses thuriféraires. Malgré l’admiration que ne manque pas d’éveiller la conscience vive, la grande culture, l’habileté littéraire et l’audace expressive du livre, je ne suis pas de ceux-là.