Version revue (après enregistrement pour la radio) :

Sur allées du Président Roosevelt reliant la place Wilson aux allées Jean-Jaurès, près du carrefour et du métro, entre terrasses et boutiques de cafés, restaurations, FNAC, etc. et de petits kiosques marchands de babioles, se dresse au N°9 une belle façade Art-Déco. Des mois enclose d’une grande grille, elle interpelle aujourd’hui par des tentacules verts s’agitant à l’étage et l’annonce sur grands placards rouges d’un spectacle de terreur.

Or, sur ce lieu de passage, rencontres et manifestations diverses, sous ce présent agité et bruyant, gît une mémoire figée dans la pierre, silencieuse si ce n’est dans les esprits anciens. Certains peuvent se souvenir de la grande salle de cinéma « Les Variétés », au temps du cinéma populaire où la file d’attente s’étirait devant l’entrée sous un vaste placard en carton-pâte, réaliste parfois jusqu’au lyrisme pour évoquer le film proposé, ainsi pour « Jeanne d’Arc » ou, dans un autre genre, « Et Dieu créa la femme » avec Brigitte Bardot.

Tandis que le lieu avait été occupé par une salle de théâtre destinée aux opérettes et grands spectacles avec revues, je me souviens du très populaire aussi grand café « Les Américains », sis presque en face, tandis que flanquait ce cinéma, le restaurant « L’Albrighi » fréquenté en famille et abritant en soirée un dancing que l’on hantait en jeunes célibataires, avec un autre centre d’intérêt… Plus tard, cette façade à pans vitrés et piliers arrondis surmontés de vastes baies, édifiée dans les années Trente sous la direction de l’architecte Robert Armandary, fut après réfection, un complexe de salles très fréquenté à Toulouse sous les trois lettres UGC ornant le fronton.

Mais cet ensemble récemment vendu serait dès lors destiné à héberger des commerces de luxe. L’édifice a longtemps abrité plusieurs salles du 7e art qui fait la réputation de la création française ou francophone. Jean-Luc Godard assure : “Je ne veux parler que de cinéma, pourquoi parler d’autre chose ? Avec le cinéma on parle de tout, on arrive à tout.” Dans la seconde ville universitaire après Paris, on peut espérer que ne sera pas effacé ce souvenir et surtout que subsisteront des activités culturelles essentielles et vitales au centre de la cité.

On peut souhaiter encore que soit bien conservée une plaque restant fixée au mur : il faut la chercher sur un pan à l’extrême droite de l’entrée. Elle commémore une séquence de la vie toulousaine jouée en ce lieu-même. La petite stèle cite les protagonistes d’une aventure, en fait une tranche de grande histoire. En 1944, durant l’Occupation, était programmé un film de propagande antisémite nazi : « Le Juif Süss ». Un groupe résistant, la 35ème Brigade des FTP-MOI ( Francs Tireurs et Partisans, Main d’œuvre immigrée), décida un attentat.

Le 1er mars, David Freiman, accompagné de Rosina Bet et Enzo Godéas, s’installent dans la salle. David est juif d’origine russe, venant de Roumanie pour des études d’ingénieur agronome, il commande le groupe chargé de déposer une bombe. Rosina et Enzo jouent un tout jeune couple (ils ont vingt et dix-neuf ans). Soucieux de ne pas faire de victime parmi les spectateurs, ils attendent la sortie. Mais une bousculade fait tomber la bombe qui explose en tuant David, son porteur, et un spectateur, blessant aussi les deux autres résistants. Ceux-ci sont « interrogés », Rosina meurt deux jours après sans parler tandis qu’Enzo est fusillé à la prison Saint-Michel.

Pour le sourire et un autre registre, je me souviens que dans la file d’attente pour « Et Dieu créa la femme » nous avions aperçu notre prof d’anglais ! Et aussi qu’en fréquentant le dancing de l’Albrighi, je fus accompagné du propre neveu de David, qui savait bien se distraire tout en n’oubliant pas son histoire familiale pourtant occultée alors que, sans les exploits des jeunes résistants, l’emblème nazi flotterait peut-être encore sur ces allées toulousaines…

Enjeu d’aujourd’hui, que la transmission ou pas du souvenir de ceux qui ne s’en laissèrent pas conter par une omniprésente propagande collaborationniste. Alors, ne manquons pas sur ces allées de contempler la façade et de lire la plaque.

Selon le Larousse : Résister : « S’opposer par la force à celui ou à ceux qui emploient des moyens violents. » Question : Comment nommer la pression médiatique terrorisant les gens pour mieux les dominer ? Question encore : Y a t-il loin, de la désobéissance d’une jeunesse à sa Résistance ?