Aujourd’hui, je convoque le chanteur Eric Fraj. Celui qui pâtit en renommée de sa situation sudiste et tout à la fois en profite pour créer ce que nul ne peut faire autrement ailleurs, tant il est étrangers aux chants des perroquets du monde commun. Son concert du 30 mars à l’Université Jean-Jaurès annulé, je vais évoquer son dernier disque (le quinzième) d’où il devait extraire de délicieuses et fortes chansons.

La personnalité d’Eric Fraj semble issue d’une étoile magique, à la fois lointaine et si proche, qu’il invoque à sa manière en chantant dans son disque : « Mon pays ne connaît pas de race… chacun sourit à une étoile ». Auteur-compositeur et interprète, chantant en plusieurs langues depuis fin 1971, son parcours artistique l’a mené à se produire en France et à l’étranger, de la fête de village au Théâtre Dejazet à Paris ou au Palau de la Música de Barcelone, en passant par Göttingen, Casablanca, Toulouse, etc.

Il est agrégé d’espagnol et de philosophie et vit dans la région toulousaine, à Carbonne, jusqu’à sa récente retraite il enseigna l’occitan et la philosophie au lycée de Muret. Il a également créé de nombreux spectacles associant théâtre et musique. S’engageant nettement pour ses passions intellectuelles et existentielles, il a interprété en 2000, le rôle du troubadour Jaufre Rudel dans « L’Amour de Loin », un spectacle écrit et mis en scène par le guitariste Vicente Pradal.

Il commente lui-même son trajet en disant : « La vie s’est toujours montrée généreuse avec moi, elle m’a permis de multiplier les expériences vocales et musicales, les rencontres avec mes frères et sœurs humains, anonymes ou pas, superbes ou médiocres, elle m’a permis de partager la scène et des grands instants de bonheur avec des artistes tels que » : suit une longue liste de noms parmi lesquels des artistes de la région mais aussi Colette Magny, Gilles Servat, Jacques Bertin, Catherine Ribeiro, Teresa Rebull, Paco Ibañez, Lluis LLach, Félix Leclerc, le Cuarteto Cedrón et Angel Parra… Et il conclut : « j’en oublie et des meilleurs, qu’ils me pardonnent… »

Je me souviens pour ma part qu’à la Cave Poésie, au cours d’un hommage au poète récemment disparu Michel Baglin, soirée où nous côtoyions la fine fleur des amis de l’auteur avec sa famille, il conclut son intervention par un chant a cappella improvisé en une langue inconnue, non seulement de l’assistance, mais aussi de lui-même, pure improvisation d’instinct. C’est que les langues sont son affaire depuis longtemps, il chante depuis l’âge de 14 ans et demi dans ses langues du cœur, c’est à dire les langues de son enfance, si bien qu’il est aussi à l’aise qu’en français, en occitan, en catalan et en castillan, les trois langues romanes cousines de ce Sud plutôt oublié du mondialisme.

Son dernier disque « Gao » est l’illustration d’une sorte d’ œcuménisme avec en outre la référence récurrente à l’Afrique, une Afrique subjective, onirique, née de ce qu’il lui reste de souvenirs lointains de cette ville du Mali de son enfance et de savoirs plus récents, parmi lesquels : Evlín, évocation de la noyade en Méditerranée d’une jeune femme voulant rejoindre l’Europe. D’une durée totale d’un peu plus d’une heure, le disque contient dix huit chansons en diverses langues dont les paroles et traductions françaises se trouvent sur un livret inclus dans le coffret produit par Gérard Zuchetto et Trobar Vox. Le tout se trouve dans le commerce et peut être aussi acheté sur le site officiel d’Eric (https://ericfraj.com) où l’on peut de même écouter certaines chansons. Je vous recommande les titres de ce disque, entre autres « Qui chante ici ? » (en français) et « Continent » (en occitan languedocien), que nous allons entendre.

(chronique sur Radio Mon Pais)