Ecrivain

Catégorie : Coups de coeur et lectures (Page 18 of 18)

AL-MASRI  Maram, Par la fontaine de ma bouche, poèmes, Éditions Bruno Doucey.

J’ai découvert cette poétesse syrienne* grâce au blog de Michel Baglin (« Texture »). J’ai acquis aussitôt un recueil, celui-ci où j’ai trouvé de quoi combler mes attentes, sensualité, partage, sincérité, amours ;  dont des amours homosexuelles : « Devant elle / je me prosterne / amoureuse éprise », aussi hétérosexuelles : « je te donne un ventre doux / qui souffre / conçoit / enfante / » soient des amours tout court. Pas de retenue dans la vie ni dans l’écriture : « dans le duvet du ventre / ou sous l’aisselle / pénétrant la mousse veloutée / d’un tendre passage ». Ce qui compte c’est que le poème emporte et apporte, qu’on en reçoive. La poésie comme don et suprême cadeau. L’auteur le résume si fort : « Ma bouche / est chanson d’Ishtar / et contes de Shéhérazade // ma bouche est le gémissement silencieux / d’une plainte // ma bouche / est une fontaine coulant de plaisir / Le cantique / du cœur / et de la chair ». Je laisse poursuivre Michel Baglin : « Éloge du corps dans une langue on ne peut plus sensuelle, ce recueil chante la jouissance et l’art de se dénuder pour mieux se livrer à l’être, à l’autre et à son propre abandon à la poésie du monde : « je me débarrasse de l’inutile / des écorces qui m’alourdissent » écrit Maram. Le corps à corps y est aussi glorification de la féminité (« je me fonds dans toutes les femmes »), des seins, des aisselles, du duvet du ventre et des sexes, de l’amour charnel et de l’âme ardente. Célébration fluide d’un « corps fait de baisers / sculpté de caresses / hâlé de soleil / qui désire / qui embrasse / et jouit ». La poésie y apparaît comme une forme du don : « devant vous je me dénude / doigt / par doigt / ongle par ongle / peau / et puis os / puis poème. » Cette lecture est un beau cadeau.

* Elle est aussi auteure d’une anthologie : Femmes Poètes du monde arabe aux éditions Le Temps des cerises.

AKKOUCHE Mouloud, Cayenne, mon tombeau, roman, Flammarion.

Ceci est d’abord l’histoire reconstituée et fictionnée du père de l’auteur. Non pas un récit complaisant ou prétendant régler dérisoirement les comptes. Un beau roman et une sacrée aventure à la fois pour l’auteur et son lecteur. « Inscrire bagnard à la case profession du père sur la fiche de rentrée à l’école ? Finalement, son silence m’avait longtemps protégé. Cette protection avant disparu d’un seul coup. Elle me laissait vide, impuissant. » Dans ce livre alterne le récit du père et celui, en italique, d’un scénariste qui tente d’écrire l’histoire, substitut à peine voilé de l’auteur. L’histoire commence par le procès d’un meurtrier indigène à Bougie, ville coloniale d’Algérie. Une banale affaire de rixe au bordel. Mais le soldat indigène qui ne sait pas s’exprimer est évacué et condamné… au bagne à Cayenne ! La situation du drame à Bougie m’a sans doute ému parce que je vécus là bien après et que j’y fréquentai aussi les restes inversés du racisme après l’indépendance. Mais c’est surtout d’autre chose qu’il s’agit dans ce voyage où nous entraîne Mouloud jusqu’au bagne vécu par son père comme il a été habité injustement par d’autres, Dreyfus, Seznec et Cie. C’est si fortement vécu que j’aurais juré qu’Akkouche avait vraiment visité Cayenne. Et dans ce récit s’en emboîtent plusieurs comme les aventures gigognes de la mémoire et de l’écriture. Une forte écriture. Comme cette vision au retour au pays : « Ses yeux fouillèrent nerveusement autour de lui. En vain. Il ne retrouvait pas ses marques. L’impression d’être un étranger ne le quittait pas. Sur la balance du temps, les années passées hors du village pesaient plus que les autres. » Un beau livre à se procurer (il est paru en 2001).

 

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