D’habitude, après le défilé du 1er mai, la Bourse du travail se remplissait à ras-bord de travailleurs et militants, avec banderoles, verbe haut et air de fête, musique, casse-croûte et libation. Et chaque année se reproduisaient ces événements symboliques d’énergie et de conscience populaire, la fête républicaine étant, comme disait Jules Ferry : «une communion citoyenne ». Or, cette année 2020, les locaux de la Bourse restèrent clos.

Normal, puisqu’en confinement, à Toulouse comme partout en France, les manifestations et autres rassemblements sont interdits à cause de la crise sanitaire. A la vue de ce bâtiment fermé au public en lieu et place inaugurés par Jaurès, on sentirait redoubler la sidération. N’empêche la conscience qui souffle une question : cette situation dérange-t-elle ceux qui nous gouvernent ?

Le 1er mai est une journée particulière depuis les émeutes et la répression d’un certain samedi 1er mai 1886 aux Etats-Unis, fête du travail (chômée et payée) en France aussi : décrétée en 1919, légalisée en 1941 et confortée plusieurs fois, notamment à la Libération. En 1891, les forces de l’ordre avaient tiré sur la foule à Fourmies, tuant une jeune femme qui portait une églantine, laquelle fleur devint pour un temps symbole du 1er mai, avant le retour du muguet. Ainsi, cette journée, date mythique et un des piliers républicains, fut-elle jusqu’à ce jour partout chômée et commémorée par des manifestations diverses, unitaires ou pas, mais en tout cas populaires.

En dépit de déclarations dignes de Tartuffe, la situation est du pain bénit pour Macron qui martèle depuis le début de la crise du covid ses appels à l’union nationale derrière lui et son régime. Particulièrement incompétents pour faire face à l’épidémie, ils ont doublement besoin de bénéficier d’un tarissement, ne serait-ce que temporaire, des mouvements de foule.

Le pouvoir aimerait bien, à cette occasion, anesthésier toute résistance. Il y parvient en partie puisque, sous le coup de la sidération, de la peur et des interdictions, le peuple a jusqu’alors laissé tomber des décisions parachutées et non arrêtées par ses élus, le pouvoir législatif feinté par des procédés ou même récusé par des ordonnances. Ainsi, les rues des villes sont en général restées vides le jour annuel où elles doivent par excellence être fleuries de pancartes et banderoles et carillonner de devise et de chansons. Braver une interdiction correspond à une tradition contestataire en France, mais narguer une pandémie mortelle, c’est autre chose, on le comprend !

Pourtant, on sent frémir ce 1er mai la renaissance de la contestation un temps confinée. En ne travaillant pas, un bon nombre de gens marquèrent cette date malgré tout. Si cette année le bâtiment place Saint-Sernin resta silencieux et clos, une nouvelle banderole vient de l’orner avec un mot d’ordre de Résistance à la crise du virus et on a pu voir à certaines fenêtres de la ville des pancartes et des banderoles, et même entendre des casseroles pour une drôle de cuisine !

Car on a proposé de ne pas se contenter de communier en remerciant par les applaudissements le soir mais de faire acte de lucidité et combativité en manifestant ce jour à midi par une belle casserolade. Je confirme que ces bruits de sonnaille résonnèrent différemment des sons de cloches pascales.

Divers syndicats et mouvements appelaient à des formes particulières et individuelles de s’exprimer, tandis que la CGT et les mouvements lycéens et étudiants Fidl, MNL, UNL et Unef invitaient à manifester traditionnellement en hommage au mouvement ouvrier, « avec des pancartes et banderoles en envahissant les réseaux sociaux ».

En conclusion, un mot sur l’absence du muguet, interdit à la vente dans les rues. Cette tradition bien assumée jusque-là par des organisations démocratiques, si certains en sont orphelins, elle remonte à des pratiques païennes chez les Celtes et les Romains qui marquaient ainsi l’arrivée des beaux jours.

Pour le sourire, je note que les réseaux sociaux, applications et autres truchements électroniques ne refont peut-être pas le présent d’un brin de clochettes. Mais ils peuvent toujours, selon l’humeur, envoyer des fleurs ou même encore de bons cactus bien piquants ! Et pendant ce temps, au fond de mon jardin, revient le temps des cerises.