La nouvelle collection « Bel horizon » dirigée par Yasmina Khadra va bientôt comprendre mon prochain roman : À la santé des pachas. J’ai eu la curiosité de lire Oran après la mer dans cette même collection. Et bien m’en a pris ! Ce roman débute par une note aigre sur l’hôpital algérien aux « médecins, souvent sans expérience, introuvables quand on en a besoin, toujours dans un service qui n’est pas le leur, pour diriger un parent, un ami, pour obtenir une consultation immédiate ». Il s’agit en fait de l’évocation de tout un temps féminin en Algérie, depuis l’enfance de petite fille bien avant-guerre jusqu’à la fin de la vieille dame vers la Libération. Son grand-père était allé rejoindre Abd-el-Kader contre les conquérants français mais dans son quartier d’Oran les musulmans se mêlaient à Mme Lopez, Maryse, Santa-Cruz… en bon voisinage. « Les ennemis, pour moi, c’étaient les autres, ceux que je ne connaissais pas. » À côté de ce presque truisme, on découvre le soulagement de la jeune fille lorsque sa mère lui tendit son premier voile, si rassurant alors qu’elle craint de perdre ce qu’on lui a nommé « la petite fleur » : « parce qu’un jour j’aurais à prouver que personne n’avait tenté de la cueillir ». La scène du mariage contre son gré, où l’époux inconnu et aviné, la déflore sans ménagement, est assez classique mais poignante par l’évocation sans ambages des sentiments : « Je me sentais profondément humiliée, salie, bafouée, meurtrie. C’est à ce moment là que j’ai commencé à le haïr. » Le lecteur suit aussi la condition des petites gens à l’époque, privés de tout confort, comme lorsqu’elle découvre chez la voisine l’électricité et la radio ou aussi quand elle évoque les lavandières dans l’oued. « J’en ai connu des femmes qui ont usé leurs mains dans l’eau savonneuse, qui, à quarante ans, n’arrivaient plus à redresser leur dos ! » La place me manque pour rapporter tous les épisodes émouvants – et parfois surprenants – de cette vie, entre autres son veuvage et le remariage heureux à titre de seconde épouse, tandis qu’en toile de fond se déroule l’Histoire arrivant à l’indépendance. Une vie ordinaire de son temps, pareille à celle de pas mal d’algériennes. « Mais qui se souvient d’elles ? » Alors qu’au mieux l’on évoque ici maintenant ce qui ne fut même pas nommé : guerre, cette lecture émouvante apparaît comme un dû.