« Une heure d’ascension dans les montagnes fait d’un gredin et d’un saint deux créatures à peu près semblables. La fatigue est le plus court chemin vers l’égalité, vers la fraternité. » Ainsi écrivait Friedrich Nietzsche qui aurait trouvé en une randonnée l’inspiration d’Ainsi parlait Zarathoustra.

Certes, on connaît les bienfaits de la balade sur les sentiers. Pourtant, les promeneurs actuels font bien d’y regarder à deux fois avant de se lancer à l’assaut d’un itinéraire d’altitude.

Car on ne l’évoque pas assez, les montagnes sont les zones tempérées qui se réchauffent le plus vite. Ce sont elles, les « sentinelles du climat ». Et depuis deux ou trois décennies, à l’échelle d’une génération seulement, des changements spectaculaires se produisent : retrait accéléré des glaciers, dégradation de l’enneigement saisonnier et fonte du pergélisol (ou permafrost)*. Les écosystèmes d’altitude sont aussi affectés, avec un phénomène de verdissement de la haute montagne et des forêts qui connaissent de grandes mutations.

De plus, ces impacts physiques et biologiques du réchauffement ont des conséquences socio-économiques : augmentation des risques naturels, remise en cause d’activités traditionnelles, comme le tourisme hivernal fondé sur le ski en stations, l’agropastoralisme ou l’économie forestière. Les signes qui prouvent qu’un réchauffement climatique est en cours se multiplient dans les stations de montagne françaises. C’est ainsi que les importantes dépenses engagées en 2020 à Luchon pour apporter de la neige, des dizaines de tonnes de neige par hélicoptère, ont défrayé la chronique et suscité une vague d’indignation partout en France, jusqu’à faire réagir la ministre de l’Écologie d’alors : Élisabeth Borne !

Les météorologues expliquent : « La limite pluie-neige, qui détermine l’enneigement d’une station, est passée de 1.200 mètres d’altitude dans les années 1960 à environ 1.500 mètres aujourd’hui. » Les stations situées en dessous de ce seuil critique « souffrent » d’un manque de neige encore plus évident que les autres. Si 2022 est pour l’instant exceptionnellement favorable à l’enneigement, en plein février 2020, Le Mourtis et Bourg-d’Oueil étaient fermés, et seules 6 des 28 pistes étaient ouvertes à Luchon-Superbagnères.

Pour le sourire, certains peuvent trouver amusant que ceux qui ont les moyens d’aller au ski en soient privés. Pourtant, la montagne n’est plus ce qu’elle était. Dans le cirque de Gavarnie, la disparition du glacier situé sous la Brèche de Roland, non seulement change le paysage, mais encore rend difficile l’accès à ce col. Il ne se passe plus un été sans qu’une face de montagne, un pic ou une arête s’écroule. Car le pergélisol permet de maintenir la stabilité de massifs rocheux grâce à la glace qui cimente les fissures. Le plus impressionnant a été sans doute en 2005 l’effondrement de la face sud-ouest des Drus dans le massif du Mont-Blanc : cet été-là est parti le célèbre pilier Bonatti, du nom de l’alpiniste italien qui l’a escaladé en solitaire dans les années 1950.

Au sommet des conséquences inquiétantes se trouve la problématique de l’eau. Parce qu’elles sont à la tête des bassins hydrographiques, les montagnes jouent un rôle capital pour l’alimentation en eau sur de très vastes territoires. Les massifs montagneux distribuent la ressource en eau à près de la moitié de la population mondiale, notamment en Asie. C’est pour cette raison que l’on appelle souvent les montagnes des « châteaux d’eau ». Or, les glaciers de montagne perdent aujourd’hui plus de masse de glace qu’ils n’en gagnent.

On estime que le pic de la ressource en eau de ces bassins pourrait se situer entre 2040 et 2060. Ensuite, la ressource ira en se raréfiant alors même que la population et les besoins en eau des grands bassins hydrographiques auront fortement augmenté. Nous courons donc vers d’importants déficits en eau qui vont entraîner des tensions autour de cette ressource, comme c’est déjà le cas dans le bassin du Nil (entre l’Égypte, le Soudan et l’Éthiopie), ou celui du Tigre et de l’Euphrate (entre la Turquie, la Syrie et l’Irak).

Et ma chronique fait l’impasse sur les autres aspects du rapide changement climatique sur le globe, comme les violentes tempêtes, les terribles sécheresses et les énormes incendies. De quoi regretter le temps des grands glaciers qui façonnèrent nos vallées ? En tout cas de quoi songer à un temps où l’homme ne cramait pas sa planète…

* pergélisol (rappel) = il s’agit du sous-sol gelé en permanence.