Deux monumentales portes au coin de la rue Albert-Lautmann et de la rue des Salenques, ouvrent sur un parc cerné d’amphithéâtres, bureaux et bibliothèque. Voici la « Toulouse school of Management » et les locaux d’associations étudiantes, partie de l’Université de Toulouse 1-Capitole, axée sur les sciences sociales (droit, science politique, économie, administration, etc.), se vantant de compter dans ses rangs Jean Tirole, prix Nobel d’économie.

Vestige de l’ancienne Faculté des lettres et sciences humaines, dans ces locaux rénovés, il faut chercher au mur d’un amphithéâtre le patronyme du philosophe Jean Jaurès. Nul doute sur la qualité de l’enseignement dispensé, mais une substitution laisse pensif. Déplacées les traditionnelles études de philosophie, psychologie, sociologie… Oubliées les personnalités du progressiste professeur de psychologie Malrieu, de l’étudiante soixante-huitarde et historienne Marie-France Brive ? Mais où sont les humanités passées?

S’agit-il pourtant d’une continuité de civilisation ? Le temps présent fait en douter. Mesure-t-on les conséquences des cours à distance ? L’interdiction ou la limitation des activités non dites de première nécessité touche aussi bien les études et créations culturelles que les activités sportives. Mais où sont les principes d’antan ? L’éducation comprend aussi la pratique de la gymnastique et du sport individuel et collectif, en vertu du principe traditionnellement reconnu : « Mens sana in corpore sano », citation de Juvénal que l’on traduit ainsi : Un esprit sain dans un corps sain.

« Le sport est une machine à faire penser », écrit le philosophe Yves Vargas. Se former à être humain, ce n’est pas ingurgiter des connaissances mais les « penser ». Car c’est d’humanisme qu’il s’agit. Et de philosophie… Qui accomplit des études de sciences humaines à Toulouse, le doit à un adjoint à l’instruction publique qui inaugura ces locaux anciens reconstruits et y stimula l’enseignement des « humanités » : Jean Jaurès qui fut professeur de philosophie en ces locaux-mêmes à la fin du XIXème siècle.

Au fil des décennies les salles rue Lautmann devinrent si exiguës que parfois l’on devait assister aux cours depuis le couloir par une porte grand ouverte. Doléances et défilés réclamèrent de nouveaux locaux. En Soixante-huit, la première manifestation aurait débuté dans l’ancien amphi Marsan où une assemblée générale houleuse s’ensuivit d’une intervention des CRS. Ainsi de suite, jusqu’à l’aboutissement, la naissance de la nouvelle université du Mirail qui serait d’ailleurs baptisée ensuite : « Université Jean-Jaurès ».

Opportune ou pas, la substitution doublée d’un éloignement, s’inscrit dans une époque. Outre les lois liberticides, tombent des oukases obscurantistes : interdiction de vendre des livres, d’aller au cinéma et au théâtre, de pratiquer des activités sportives… Est ainsi exclu du concept de nécessité un contenu pourtant majeur et séculaire, mis en pratique générale depuis l’éducation gratuite et obligatoire : les vitales activités culturelles et corporelles. L’humain serait-il soudain réduit à sa capacité à produire pour créer des richesses ? Gérer la société à court terme pour le profit immédiat… Mais où donc les Macron, Castex et compagnie ont-ils accompli leurs « humanités » ?

Pour le sourire, Rabelais, avec son humeur railleuse et joviale, avec sa grande culture aussi, parodia ainsi la maxime ancienne : « Mens sana non potest vivere in corpore sicco » (une âme saine ne peut habiter dans un corps sec… soit : qui ne boit pas ) ! Concernant les grandes épidémies, Rabelais évoque la peste et aussi la vérole, maladie hautement contagieuse qui fait des ravages en son siècle et dont il a pu expérimenter les remèdes désastreux.

On imagine que, comme médecin, il n’a d’autre choix alors que de tenter d’empêcher la contagion. Pourtant, il note que faire rire c’est un peu guérir. Il conçoit ses livres joyeux comme de véritables remèdes, plus efficaces que les onguents et les étuves. Face à la maladie réputée incurable, la joie de la lecture est capable de procurer un bien-être participant à l’amélioration de l’âme et même du corps.

Souhaitons sérieusement que, cinq siècles après Rabelais, l’humanité sache bénéficier de la science pour dominer et éliminer la grave pandémie que nous vivons. Mais n’oublions pas que l’auteur nous apprit également l’ironie, soit que “Rire est le propre de l’homme”.