Il y a peu, mi-octobre, j’ai accompli une randonnée dans les Pyrénées en compagnie d’un ami. Il s’agissait de marcher dans les pas que nous avions accomplis soixante ans auparavant en montant au lac du Portillon, au-dessus de Luchon, à 2500 mètres d’altitude. Par un temps radieux dans un décor enchanté, gravissant les degrés d’une série de lacs s’étageant sous les pics du massif du Perdiguère (en occitan : habité par des perdrix), on pouvait croire monter au paradis.

Outre l’ivresse d’avoir pu, bientôt octogénaires, gravir les sentiers pour goûter la victoire sur la roche et la convivialité des refuges, je repense aux perdrix. La perdrix grise à tête rousse des Pyrénées est bien réputée vivre jusqu’aux hautes altitudes sur des landes et pelouses situées aux expositions chaudes. Nous n’en vîmes aucune en ce cirque exposé plein nord et uniquement rocailleux, côté français.

Montés aussi pour observer l’état du glacier du Seilh de la Baque, notre crainte fut, hélas, confirmée. Alors qu’il se jetait fin XIXe dans le lac et qu’il couvrait encore dans les années soixante une bonne part du cirque, ne reste plus que très peu de glace haut perchée au bas de la dernière muraille. Son appellation : Seilh de la Baque (passage de la vache), peut évoquer qu’il fut un temps où les troupeaux purent passer la frontière, une période chaude au début du deuxième millénaire. Elle rappelle aussi et surtout, hélas, le réchauffement actuel.

Cette montagne est sujette aux conséquences du réchauffement climatique, plus intense et surtout beaucoup plus rapide que les précédents. On sait combien les glaces fondent, mais on sait moins que se produisent d’autres modifications plus difficiles à observer. Ainsi la fonte du permafrost, la couche du sol glacée en permanence où restent stables les roches.

Plusieurs bites coniques jalonnent le rocher au-dessous du barrage du Portillon. Ce sont des témoins destinés à diagnostiquer l’état des roches afin d’éviter tout accident de barrage, représentant une menace pour la vallée au-dessous. L’existence de ces témoins ne rassure guère : s’ils sont implantés là, c’est bien qu’il y a un risque !

Et je veux penser aux risques climatiques en général, majeurs maintenant, on le sait, et menaçant sans que cela réveille vraiment une réaction. Oui, l’augmentation rapide de température, inéluctable parce que déjà en route, aura déjà de graves effets : canicules, tempêtes, manque d’eau, pollution, etc. Mais de plus existe le risque de laisser aggraver le phénomène. Or, au lieu de faire suivre les déclarations d’actes immédiats, s’en suit une confusion qui revient en gros à ne changer que quelques miettes en laissant le gâteau fondre et brûler à la fois.

Cette négligence me fait penser au philosophe Onfray, diversement apprécié, mais philosophe quand même, qui disait : « alors que nous avons au moins une certitude, celle de devoir mourir, nous nous conduisons exactement comme si nous l’ignorions ! » À quel degré d’inhumanité le régime actuel dit « libéral » (celui du renard libre dans le poulailler libre) nous conduit-il ? À voir les risques s’aggraver sans cesse et sans riposte, je me demande à quoi pense-t-on. Et même, si l’on pense vraiment.

Pour le sourire, je me souviens d’un entretien à la radio d’un chef d’entreprise du bassin parisien, lequel développait l’intérêt pour son industrie de puiser de l’eau pure dans la nappe profonde. Lorsque le journaliste lui demanda : – Vous avez des enfants ? – Oui, bien sûr ! – Cela ne vous pose pas problème qu’ils doivent vivre dans un monde où les réserves d’eau soient polluées ? Et l’industriel de rester sans voix pendant un long silence…

Bizarre histoire, tout de même, que celle où des humains engendrent et élèvent des enfants en les jetant sur une planète pourrie dans une humanité sauvage ! Pas étonnant que des jeunes déclarent actuellement ne pas vouloir faire d’enfants ! Car la lucidité conduit vite à l’angoisse. Si une partie de la jeunesse ne veut plus procréer, cela relève d’une décision éthique ou philosophique. Alors, le sourire est bien loin ! Car cela signale une terrible crise de culture et de civilisation.

La psychiatre Célie Massini confirme que la préoccupation écologique est source de stress. Mais, ajoute-t-elle, « même en devenant les parfaits citoyens de l’environnement, on n’agira que sur 20 à 25 °/° des émissions à effet de serre. La souffrance climatique n’est pas individuelle, elles est politique. »