Une porte rue du Taur au Numéro 69 marque de son cadre de pierre un style Renaissance « cossu » tranchant sur les briques foraines de la « ville rose » : il s’agit de l’ancien Collège catholique de l’Esquile, datant du XVIe siècle. Ses lourds battants de bois ouvrent sur une cour pavée et arborée de platanes tandis que cinq arches se découpent dans une façade reprise de l’ancien collège.

Ici résonne surtout le XXe siècle, sentant sa belle époque avec ombrage de platanes et fresque murale au-dessus de l’escalier du hall, belle femme dénudée et ceinte d’un ruban : « L’internationale sera le genre humain… » par Jean Druille, artiste toulousain méconnu laissant cette allégorie d’esprit mécréant et insoumis sudiste du temps. Marque à propos, ce bâtiment ayant été lieu d’accueil du Parti Socialiste Ouvrier Espagnol (d’Espagne républicaine) après la Retirada (la retraite) consécutive à la victoire militaire des fascistes commandés par Franco.

Ici est accueilli le festival « Cinespaña » ou « Cinespagne » : plus grand festival de cinéma espagnol hors la péninsule, avec – quand la pandémie le permet – soirées à musique, tapas et vino tinto, dans la cour, rassemblant acteurs et réalisateurs du 7è art ainsi qu’un grand public où sont en nombre des familles issues de l’exode ou du moins très marquées par cette histoire et ses conséquences, car Toulouse tint une place prépondérante comme lieu de refuge et de survie républicains.

Or, nous nous trouvons ici à la cinémathèque de Toulouse, une des plus importantes d’Europe. Pardon à Jean d’empiéter sur son domaine cinématographique, je ne pouvais négliger là où se tenaient et se tiendront encore (nulle épidémie n’est éternelle) festivals et initiatives culturelles diverses. Mais ce qui frappe d’abord ici est l’abondance et la variété des projections de films, doublée par la conservation des copies dans des locaux annexes (à Balma). Des subventions nationales du CNC et d’autres locales et une présidence de prestige avec Robert Guédiguian, en disent long sur la place occupée par l’institution qui emménagea finalement en ce 69 rue du Taur après avoir longtemps officié au CRDP.

Et c’est l’histoire qui résonne encore. À la Libération, Toulouse fut marquée par une passion cinéphile qui en fit un temple du 7è art avec une trentaine de salles dont une dizaine d’art et essai. Dans l’esprit de la Résistance on ne voulut pas que les citoyens se contentassent du rôle de spectateur. Pour leur épanouissement, il fallait leur participation. Au Centre des intellectuels 5 rue des 3 Journées présidé par Tristan Tzara, son secrétaire Charles Pornon avait créé un ciné-club qui fut suivi à quelques années du Ciné-club animé par Marcel Tariol et du Ciné-club de la Jeunesse piloté par Roger Clerc, ainsi que de la Cinémathèque où plusieurs s’engagèrent sous la houlette de Raymond Borde.

La cinémathèque collabora puis rompit avec Langlois de la Cinémathèque française, tout en développant la culture cinématographique populaire. Borde travaillant avec la cinémathèque de Lausanne, Pornon s’y rendit grâce à son directeur Freddy Buache, rechercher pour sa thèse : « L’Écran merveilleux, le rêve et le fantastique dans le cinéma français » qui lui donna accès à la fonction de Maître de conférences dans le cadre d’un certificat d’Esthétique piloté par le professeur Blanchet. Je me souviens comme tous ces intellectuels toulousains s’opposaient vivement parfois, et souvent avançaient en parallèle.

Pour le sourire, je me souviens aussi des soirs ici, après projection de la cinémathèque dans la grande salle à balcon de l’Espoir, comme il fallait remballer les boîtes de la copie à réexpédier aussitôt, Borde en personne, agenouillé au sol dans l’entrée, empaquetant les grosse boîtes. Je me souviens encore qu’on parlait de commandos discrets partant récupérer des copies pour les soustraire à leur destruction prévue par la production ! Je me souviens enfin du groupe de facteurs de courts-métrages : les « Cinéastes indépendants » dont l’institution conserve les productions talentueuses et parfois humoristiques qu’elle numérise et projette à l’occasion.

Depuis les séances culturelles laïques où jadis des jeunes usèrent leurs fonds de culottes dans l’ancienne salle du Théâtre du Taur et du « Ciné-espoir », en ce lieu de fictions et débats filmiques, malgré virus et pollution urbaine, on respire aussi là les belles aventures passées. Manière d’antidote à une autre pandémie : l’amnésie générale.

NB: cette chronique fut enregistrée alors que l’on ignorait la prolongation des interdictions d’ouverture des lieux publics… exceptés les lieux commerciaux !