J’ai relu l’exemplaire de ma mère, édité en 1955 par Les Éditeurs français réunis. Ce roman qui a obtenu le prix de la SGDL (Société des gens de lettres) m’a surpris non seulement par l’intérêt de son contenu mais aussi, et surtout, par la qualité de l’écriture. Certains anciens ont connu à Toulouse cet instituteur qui fut reconnu écrivain après la 2ème guerre mondiale. Amoureux de la Garonne, ses gens et sa terre, il publia ce récit de la vie d’un « régent », instit après la Grande guerre. Le héros est évidemment pédagogue passionné par l’édification des enfants qui, grâce à l’école laïque, accèdent à l’ascenseur social. Il est aussi pacifiste acharné après avoir porté le corps de son ami tué au front. Dans cette aventure du siècle, la vie est fruste mais claire et se dessine en toile de fond le Front populaire, puis le spectre de la deuxième déflagration mondiale. L’émotion est souvent au détour des pages. Dans l’évocation de l’École normale d’instituteurs de Toulouse que j’ai fréquentée, pratiquement telle quelle, quelques décennies après. Dans les vues du Capitole et du centre de Toulouse, cartes postales surannées. Dans les tableaux campagnards : « Les mains brûlantes de l’été craquelèrent les feuilles des collines. Les vastes ramures des platanes couvrirent la fontaine et les bancs d’une ombre bleuâtre […] »  Dans l’odeur de la classe : « L’odeur des écoliers, des écoles venait vers lui. Il la reconnaissait  Une odeur de vieux bois séché, de plâtre et de cuir, d’encre et de papier, de croûte de pain, une odeur fine et persistante que ni les balayages, ni l’eau de Javel ne pouvaient abolir. » Le talent est là. Voir le beau monologue du blessé à mort qui enjoint à son ami de s’en aller en invoquant ses souvenirs : « Fous le camp, mon vieux Simon, ils m’ont eu. Et les soirs de printemps, quand la banlieue sentait le lilas et la violette […] on allait canoter sur la Garonne avec Lucienne. Laisse moi crever maintenant. Un samedi soir, au théâtre du Capitole, on est allé entendre Jaurès. On était tout en haut au poulailler. On dominait toute la salle, l’estrade, les plantes vertes, les drapeaux rouges. Jaurès, quand il commençait, c’était doux, tranquille comme la caresse du vent. Puis, la voix s’enflait. »  J’aimerais avoir écrit ça, et la suite… Et en tout cas, on aime le lire.