A moins de 2 semaines du 1er tour des présidentielles, faut-il écouter les sondages d’opinion ? Leur publication est interdite uniquement la veille du scrutin et le jour de celui-ci. On sait pourtant qu’il serait risqué de s’y fier. Pour garder quelque lucidité au milieu du marasme tempétueux médiatique, notons bien que les sondages ont déjà parfois été contredits par les faits.

Je rappelle que l’opinion (avis momentané et plus ou moins hérité ou grégaire) est opposée par les philosophes anciens à la raison, la réflexion produisant un jugement. D’ailleurs, Socrate fonda sa philosophie sur la critique impitoyable des opinions humaines. Ce n’est qu’au terme d’un cheminement critique que l’on peut atteindre ou du moins approcher une vérité. Comme nous sommes loin – non seulement des faxe news – mais encore de pseudo informations assénées et répétées par nombre de médias actuels !

S’agissant des opinions que les sondages sont sensés mesurer, il s’agit d’avis momentanés d’individus choisis et répondant à une question également choisie. Autant de facteurs de subjectivité et d’esprit partisan, même si l’on se cache sous l’apparente objectivité des chiffres. On se souvient de déconvenues, entre autres l’échec de Jospin à accéder au second tour des présidentielles de 2002 alors qu’on l’avait donné 14 points au-dessus de Le Pen, lequel lui passa devant en provoquant un véritable séisme politique.

A la vérité, l’usage et l’abus des sondages provoquent souvent des séismes politiques ou bien de « divines surprises », selon le sens où on les voit. On peut citer aussi l’échec d’Hillary Clinton face à Trump en 2016 et celui du Rassemblement National qui était donné gagnant en Occitanie en 2021.

Alors, qu’est-ce qui cloche dans les sondages, tandis que les techniciens prennent le soin d’échantillonner et de « redresser » ? C’est tout une histoire ! Car ne participent pas certaines catégories victimes de la fracture numérique (au 4è âge en campagne) ou indifférents à la politique (dans les « quartiers »). Ceux qui pratiquent le sondage, le font forcément avec leur personnalité… Il s’agit d’une centaine de personnes pour les 10 instituts français, très majoritairement diplômées du supérieur avec 90 °/° d’entre eux à bac + 5 et 1/3 qui sort d’une école de sciences politiques. Ceci détermine évidemment les questions posées. Or, tout le monde n’entend pas de même la même question. Chacun n’a pas le même avis selon qu’il est écrasé par le système ou bien qu’il en profite tant bien que mal.

Quoi d’étonnant que la marge d’erreur soit d’environ 2,6 point ? Un candidat sondé à 15°/° est en effet entre 12,4, 4 et 17,6 ! Mais tout ceci est encore peu, au regard de l’ampleur du phénomène. Pierre Bourdieu affirmait : « l’opinion publique n’existe pas ». C’est une fiction qui repose sur des présupposés bancals. Les sondages fabriquent ainsi une sorte de fiction politique qui, hélas, peut tourner à l’avantage des dominants qui les commandent.

Pour le sourire : Je crois me souvenir que Mélenchon était donné au-dessous de 10°/° début 2017 alors qu’il approcha des 20°/° au résultat ! Le sourire devient plus sérieux lorsque l’on songe que l’enjeu change radicalement si un candidat de gauche apparaît (ou pas) comme risquant de compromettre la figure publiquement établie par les médias – ou du moins pesamment et en permanence renforcée par eux : Macron contre l’extrême droite. Car sans suspecter les réalisateurs du sondage, il faut bien reconnaître qu’au bout du compte les cartes sont biseautées : un vote démocrate utile est ainsi suggéré. Dans le système de l’élection présidentielle en France ; c’est le vote pour le candidat ayant le plus de chance de se trouver au second tour qui sera préférentiel.

Difficile de faire la part des choses entre l’influence directe des sondages et l’exploitation médiatique qui en est faite. Il apparaît toutefois que le principe républicain : au 1er tour on choisit et au second on élimine, est pris en défaut lorsque l’on élimine dès le premier un candidat qui a peu de chances d’être au second. Sans oublier que ces réflexions ne prennent pas en compte la part de l’opinion qui ne vote pas, justement parce qu’elle ne croit pas qu’un candidat puisse la représenter. En voici donc, des aspects contournant la démocratie ! La solution ? Il n’y en a qu’une : changer le système ! Hou-là, on va peut-être m’étiqueter partisan de certaines candidatures ! Et alors ?